Dans la cohue des solutions alternatives aux énergies fossiles, les biocarburants ont semblé très prometteurs. Ils ont cependant perdu plusieurs partisans depuis l’intensification des débats concernant l’aspect éthique de la culture d’aliments pour l’approvisionnement énergétique et la naissance de certains doutes quant à leurs qualités écologiques. Quelle solution alternative saura remplacer les énergies fossiles? Évidemment, il n’y a pas qu’une réponse à cette question qui implique autant l’environnement que l’économie et le social. Si aucun outil ne permet, à ce jour, de faire un bilan systématique de ces trois sphères, la «Pensée cycle de vie» peut fournir quelques pistes.
Michael Labowicz, Renewable energy
(Énergie renouvelable), from the Denmark
Museum of Design, 2007
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Au dire de plusieurs, les technologies vertes ne sont probablement pas celles qui permettront aux sept milliards d’individus que porte la Terre de vivre au rythme abusif de certains pays industrialisés ni d’assurer que ces sept milliards se partageront équitablement les bénéfices des avancées vertes. La décroissance qui résulterait en une humanité sans traces n’étant apparemment pas pour demain, nous ne pouvons assurément pas lever le nez sur ces innovations. Qu’il s’agisse de production d’aliments, de biens et de services, de chauffage, de climatisation ou de transport, la quasi-totalité des secteurs d’activités humaines requièrent de l’énergie. Toutefois, il semble que jusqu’à ce jour, rares sont les sources énergétiques sans impacts environnementaux négatifs. Logiquement, une diminution sévère de ces impacts passera avant tout par une réduction de la consommation d’énergie. Dans la perspective où l’humanité a et aura toujours besoin de se ravitailler en énergie, comment choisir les sources d’approvisionnement à promouvoir? Dans la panoplie d’outils d’aide à la décision, l’Analyse du cycle de vie (ACV) peut être d’une grande assistance en ce qui concerne les impacts environnementaux.
L’Analyse du cycle de vie (ACV)
L’ACV évalue les impacts environnementaux d’un produit, d’un service ou d’un système sur toutes les étapes de sa chaîne de production-distribution-consommation, soit sur son cycle de vie complet, de l’extraction des matières premières à la consommation ou la mise aux rebus(1). Cet outil s’inscrit dans la «Pensée cycle de vie» qui promeut des modes de production et de consommation durables à l’égard de l’environnement, de l’économie et de la société, sur tout le cycle de vie d’un produit, d’un service ou d’un système(2). Son objectif est de réduire les impacts négatifs et d’optimiser les impacts positifs de la production-consommation sur l’environnement et la société, là où les impacts économiques surviennent, et d’éviter le transfert d’impacts négatifs d’une étape de production à une autre.
L’ACV considère les impacts environnementaux inhérents à toutes les phases de production. Dans le cas des biocarburants, la chaîne de production implique la culture des plantes et leur récolte, l’entreposage et le séchage, la transformation en carburant et la conversion du carburant en énergie par les moteurs, toutes ces étapes formant un système. L’ACV permet ainsi de comparer différentes filières de production de biocarburants utilisant différentes plantes cultivées dans des régions variées et impliquant divers procédés de transformation, mais également de comparer ces filières au statu quo, soit à la filière des énergies fossiles.
Pour que la comparaison entre deux filières de biocarburants ou entre un biocarburant et une énergie fossile soit valable, les deux systèmes doivent inclure les mêmes étapes du cycle de vie, c’est-à-dire les mêmes étapes de production. Par exemple, si l’un décide d’exclure la consommation du carburant par le moteur pour une filière, l’autre doit également exclure cette étape, sans quoi la charge environnementale résultante ne représenterait pas une même réalité. Aussi, la comparaison doit se faire sur une même unité fonctionnelle, c’est-à-dire sur une même mesure révélant la fonction du produit, par exemple, permettre à une voiture x de rouler sur 100 km. Ces choix méthodologiques influencent évidemment les conclusions des différentes études et appellent à la prudence lorsqu’on les compare.
Les résultats des ACV
Plusieurs ACV se sont penchées sur le cas des biocarburants. Si la comparaison entre différentes études n’est pas toujours possible, celles-ci analysant des systèmes qui ne présentent pas toujours les mêmes étapes de production, dans certains cas l’ACV met en lumière des enseignements intéressants.
Von Blottnizt et Curran (3) ont montré, en analysant 47 études sur les bioéthanols utilisant l’approche «Cycle de vie», que ce sont les cultures de canne à sucre qui sont les plus efficaces pour remplacer les énergies fossiles, leur rendement étant supérieur à celui des autres plantes étudiées(4). Ainsi, puisque qu’il faut moins d’hectares de culture de canne à sucre pour une même quantité d’énergie produite, l’utilisation d’énergie fossile nécessaire à la production pour l’épandage d’engrais, l’utilisation d’équipements mécanisés, etc. est plus limitée et diminue, par le fait même, les émissions de gaz à effet de serre (GES); «soulignons cependant que ces conclusions ne sont valables que si la culture de la canne à sucre ne se fait pas au détriment de surfaces protégées et de puits de carbone permanents(5)». L’étude de l’Institut du développement durable(6), qui a évalué sept différentes ACV appliquées aux biocarburants en Belgique, concluait qu’en ce qui concerne les GES et la consommation d’énergie, les biocarburants avaient généralement moins d’impacts négatifs sur l’environnement que les énergies fossiles(7).
Cependant, comparativement à la filière des énergies fossiles, celle des biocarburants semble être nuisible en ce qui concerne l’acidification des eaux et des sols et l’eutrophisation des eaux(8), impacts imputables aux pratiques agricoles qui correspondent à l’étape ayant le plus d’impacts environnementaux négatifs(9). La filière des biocarburants affecte également plus négativement la toxicité humaine et la toxicologie écologique(10). De plus, puisque les catégories d’impacts à considérer dans une ACV peuvent varier d’une étude à l’autre et qu’aucune étude présentée ici n’a considéré l’impact sur la biodiversité ou la déforestation, il est difficile d’en venir à une position favorable aux biocarburants. Tous ces impacts négatifs sur l’environnement incitent à croire que les biocarburants ne sont pas la solution alternative renouvelable aux énergies fossiles(11).
En conclusion, si aucun outil d’aide à la décision ne peut déterminer quelle est LA solution alternative aux énergies fossiles, l’ACV cerne tout de même certains impacts environnementaux importants, selon l’importance de l’étude, et influence ainsi le choix d’une technique de valorisation énergétique parmi d’autres. Cependant, puisque certaines caractéristiques peuvent varier d’une étude à l’autre, les conclusions doivent être interprétées avec précaution, particulièrement lors de comparaisons entre différentes études. Enfin, si les recherches semblent considérer la canne à sucre comme la meilleure filière de biocarburant, cette option porte son lot de questionnements éthiques auxquels l’ACV ne peut répondre à ce jour. Cela dit, même si aucun outil ne pourra jamais remplacer la pensée critique humaine, il y a actuellement un effort international qui promeut l’intégration des aspects sociaux de l’ACV dans le but de répondre aux exigences du développement durable.
Notes
(1)JOLLIET, O., Saadé, M. et Crettaz, P. Analyse du cycle de vie; comprendre et réaliser un écobilan. Presses Polytechniques et Université Romandes, Lausanne, 2005, 242 pages.
(2) LAVALLÉE, S., Normandin, D. et Sonnemann, G. L’analyse du cycle de vie des produits et services: un outil d’aide à la décision pour les décideurs publics et privés en matière de développement durable. Liaison Énergie Francophonie No. 69, Mode de consommation et de production durable, 4e trimestre, 2005, pp. 24-29.
(3) Von Blottnitz, H. et Curran, M. A. «A Review of assessments conducted on bio-ethanol as a transportation fuel a net energy, greenhouse gas, and environmental life cycle perspective.» Journal of Cleaner Production, Vol. 15, No. 7, 2007, pp. 607-619.
(4) Il existe deux principales filières de biocarburants : le bioéthanol et le biodiesel. Si l’étude de Lussis, B. (2005) impliquait les deux types de biocarburants, celle de Von Blottnitz, H. et Curran, M. A. (2007) ne considère que le bioéthanol.
(5) LUSSIS, B. Impacts environnementaux des biocarburants. Institut du Développement Durable. [En ligne] 33 pages
«http://users.skynet.be/idd/documents/divers/biofuelsenv.pdf» Consulté le 25 juin 2005.
(6) op cit. LUSSIS, B.
(7) Il est intéressant de noter ici que si le bilan des émissions de CO2 est nul pour l’étape de la combustion du carburant, c’est parce que la quantité de CO2 émise est la même que celle consommée par les plantes lors de la photosynthèse.
(8) L’acidification est causée par une augmentation de la concentration des ions H+ entraînant la dissolution de certains métaux toxiques dans l’eau et la perte d’éléments minéraux nutritifs pour les arbres et la végétation. L’eutrophisation aquatique est, pour sa part, l’enrichissement excessif d’un milieu aquatique en éléments nutritifs résultant en une surabondance des végétaux et, conséquemment, une baisse importante, voir totale, de l’oxygène dissous (op cit., JOLLIET et al.).
(9) op cit. LUSSIS, B.
(10) op cit. Von Blottnitz, H. et Curran, M. A.
(11) SCHNOOR, J.L. «Biofuels and the environment, comment. » Environmental Science & Technology, 01 Juin 2006, p. 4042.