Le 26 novembre 2006, la première usine marémotrice au monde fêtait ses 40 ans. Cette centrale de Rance, en France, produit 500 millions de kWh chaque jour et fournit à elle seule 90% de la production électrique de la Bretagne(1). Cette infrastructure, qui a nécessité trois années de travail, illustre une fois de plus l’ingéniosité humaine en matière énergétique. En matière de développement durable, l’énergie marémotrice constitue une solution beaucoup moins dommageable pour l’environnement qu’une source traditionnelle comme le charbon. Survol de cette «nouvelle» énergie renouvelable qu’est celle de l’eau, dont les mérites et les imperfections abreuvent plusieurs débats.
L’énergie marémotrice
Innovatrice, l’énergie marémotrice utilise le mouvement de marée créé par la gravité de la lune pour produire de l’électricité dans des centrales marémotrices. Pour rentabiliser ce type de centrale, une variation d’au moins cinq mètres est toutefois nécessaire, ce qui totalise à seulement 40 le nombre d’endroits favorables à ce type d’énergie dans le monde(2).
Parmi les différentes techniques qui existent aujourd’hui pour capter ce potentiel marémoteur, l’une d’elles consiste en l’installation d’un barrage muni de turbines et formant un estuaire (voir figure 1). Lorsque la marée monte, l’eau remplit l’estuaire en passant à travers les turbines du barrage, où elle est ensuite retenue jusqu’à ce que la marée baisse. Le niveau de l’eau dans l’estuaire se retrouve, pour un moment, perché relativement au niveau de la mer. Lorsque la marée est à son plus bas, l’eau passe à nouveau à travers les turbines du barrage, en sens contraire, vidant l’estuaire. De cette manière, de l’électricité est produite par les turbines lors des deux marées de la journée. Au Canada, la centrale du bassin d’Annapolis fait notamment usage de cette méthode.
Figure 1 : Barrage (3)
Une technique voisine utilise pour sa part la barrière à marée (voir figure 2), soit une série de turbines agencées verticalement, à travers laquelle circule l’eau lors des marées. Cette technique possède l’avantage de ne pas avoir à bloquer un estuaire et peut simplement être installée dans des canaux ou entre des îles(4). Certains sites de marées sont d’ailleurs considérés comme exceptionnels pour l’utilisation des techniques marémotrices du fait qu’ils voient le niveau de l’eau varier de 14 à 17 mètres (dont la Baie de Fundy, au Canada et la Baie de San José, en Argentine) au lieu des quelques mètres habituels.
Figure 2 : Barrière à marée(5)
Enfin, la turbine à marée (ou l’hydrolienne) (voir figure 3), semblable à une éolienne submergée par la mer, tire son potentiel énergétique du courant marin provoqué par les marées, qui font tourner les pales dont le mouvement est converti en électricité dans les dispositifs qui émergent de l’eau.
Figure 3 : Turbine à marée (ou hydrolienne)(6)
L’énergie houlomotrice
Les marées ne sont pas les seules propriétés de la mer dont il est possible de tirer des bénéfices en matière d’énergie. Depuis quelques années, on a découvert qu’il était possible d’exploiter le potentiel énergétique des vagues produites par les océans. Après tout, ces derniers constituent les deux tiers de la surface terrestre. L’énergie houlomotrice utilise donc simplement le mouvement ascendant et descendant des vagues pour créer de l’électricité. Les côtes de l’Amérique du Nord et de l’Europe du Nord seraient des sites particulièrement propices pour exploiter ce type d’énergie.
Aujourd’hui, plusieurs technologies existent pour exploiter l’énergie des vagues. Par exemple, dans le cas de systèmes à colonne d’eau oscillante (voir figure 4), l’eau est poussée et retirée, selon le mouvement de la vague, dans un caisson en forme de parabole. Ce caisson est relié à une colonne dans laquelle se trouve une turbine. Lorsque l’eau est poussée à l’intérieur, la turbine tourne sous la pression de l’air comprimé. Lorsque la vague se retire, la turbine est activée grâce à la diminution de la pression de l’air(7).
Figure 4 : Systèmes à colonne d’eau oscillante(8)
Les dispositifs flottants (voir figure 5), quant à eux, combinent dans un appareil un élément se mouvant avec les vagues et un élément fixe relié à une turbine. Cette turbine s’active en réaction au mouvement de la partie flottante et produit ainsi de l’électricité.
Figure 5 : Dispositifs flottants(9)
Enfin, les systèmes à canaux (voir figure 6) s’installent sur une falaise en bordure de mer. Ils «captent» l’eau apportée par les vagues dans un réservoir disposant d’une entrée en forme d’entonnoir qui en accentue la force. L’eau est ensuite retenue dans le réservoir pour être relâchée dans la mer après que son passage vers une sortie dirigée ait fait tourner une turbine.
Figure 6 : Systèmes à canaux(10)
Des technologies qui ne font pas l’unanimité
Bien peu de projets énergétiques, quelle que soit leur nature, suscitent l’unanimité. Beaucoup sont enthousiastes devant le potentiel énergétique de la mer, entre autres parce qu’il ne demande pas de combustibles et n’émet pas d’émissions de gaz à effets de serre(11). De plus, les centrales marémotrices peuvent constituer, dans certains cas, une protection contre les raz-de-marée(12). Même si les énergies renouvelables constituent véritablement les énergies de demain, il n’en demeure pas moins que ces sources sont des options énergétiques critiquées par plusieurs.
Il y a d’abord le coût. Même si l’énergie de l’eau est fiable, gratuite et possède un faible coût d’exploitation, elle nécessite au départ des investissements très importants (par exemple, 400 M$ US pour un projet en Nouvelle-Zélande). De plus, comme l’eau est en général située loin des lieux de consommation, des coûts de transport élevés y sont inhérents(13). Toutefois, les plus petites installations, comme les systèmes à canaux et à colonnes, peuvent fournir de l’énergie pour une population locale tout en s’avérant moins coûteuses(14).
Par ailleurs, toutes ces installations doivent, d’une part, être assez robustes pour résister aux particularités météorologiques de l’endroit où on les implante(15). D’autre part, elles doivent faire face au même ennemi naturel, le sel, qui risque d’avoir un effet abrasif sur les pales et les hélices de l’équipement utilisé(16).
Aussi, comme dans la plupart des projets énergétiques, l’énergie de l’eau trouve des opposants du côté des militants pour la conservation de la nature. Bien que ces projets aient souvent des impacts écologiques bien moindres que les énergies traditionnelles, d’où leur développement important ces dernières années, ils ne sont pas sans impact sur le milieu. Il est possible que certains barrages endommagent les digues ou perturbent les écosystèmes environnants, parallèlement au changement de la configuration locale des marées, et que la concentration de vagues modifie la sédimentation et l’érosion d’une région(17). Tout ceci, on s’en doute, pourrait avoir des effets sur l’écosystème marin. Il existe notamment un danger pour les poissons, qui pourraient être entraînés dans le flot de l’eau circulant à travers une turbine(18).
C’est précisément pour le cumul de ces raisons que, en Nouvelle-Zélande, un important projet de centrale marémotrice de la Crest Energy rencontre des opposants. Désirant disposer 200 turbines marines sur 8 km dans l’embouchure du port de Kaipara, l’entreprise assure qu’il n’y a pas de dangers environnementaux induits par ce projet(19). Mais la Kaipara Forest and Bird, qui a pour mission de préserver et de protéger les plantes et les animaux indigènes ainsi que les caractéristiques naturelles de la Nouvelle-Zélande, s’oppose néanmoins au projet. L’organisme craint notamment que cette technologie «n’ayant pas encore fait ses preuves(20)» puisse endommager l’écosystème du port, les mammifères marins qui y vivent et l’environnement côtier en général.
L’énergie marémotrice ne fait pas le bonheur de tous les pêcheurs non plus. Craignant de voir leurs filets de pêche prisonniers de ces gigantesques structures, ils en trouvent leur territoire d’activité réduit. En Nouvelle-Écosse, au Canada, une vive opposition a déjà pris forme face au projet-pilote de turbine sous-marine dans le canal des mines de la Baie de Fundy de la Nova Scotia Power. Les pêcheurs y seraient en effet interdits de pêche au homard dans la zone du projet(21), ce qui menace sérieusement leur gagne-pain. Le Centre d’action écologique de la Nouvelle-Écosse, qui préconise une prise en compte des collectivités environnantes, appuie en ce sens le regroupement de travailleurs.
La source d’énergie sans dommages sociaux, environnementaux ni économiques, épousant tout à fait les formes du développement durable, est-elle une utopie? Lorsqu’on parle de développement dans le domaine énergétique, tous les projets, des plus «propres» aux plus dévastateurs, comportent des faiblesses compromettant leur réalisation. Ceci suscite deux questions: 1) quels sont les compromis acceptables pour réaliser des projets propres, possiblement plus verts que d’autres? et 2) jusqu’où la réduction de la consommation en énergie elle-même peut-elle être une réponse? L’énergie la plus propre, selon Laponche(22), est celle qui n’est pas consommée, mais cette disposition nécessite l’application de politiques de maîtrise de la consommation d’énergie.
Notes
(1) MediaTerre Système d’information mondial francophone pour le développement durable. (2007) L’usine
marémotrice de la Rance, 40 ans de marée. [en ligne] 1 page.
<http://www.mediaterre.org/france/actu,20061213075500.html>
(2) Pollution Probe. (2003) L’ABC des technologies de l’énergie renouvelable. [en ligne] 1 page.
<www.pollutionprobe.org/Reports/reprimerfr.pdf>
(3) Image tirée de <http://images.google.ca/imgres?imgurl=http://www.planete-
energies.com/getMediumImage.aspx%3Fdirectory%
3Dimg_5_7_3_1_energies_marees01&imgrefurl=http://www.planete-
energies.com/contenu/energies-renouvelables/voies-du-futur/energie-
courant-ocean/maremotrice.html&h=240&w=360&sz=60&hl=fr&start=2&tbnid=uzgnAS-7z-
Z_ZM:&tbnh=81&tbnw=121&prev=/images%3Fq%3D%25C3%25A9nergie%2Bmar%25C3%25A9motrice%
26gbv%3D2%26svnum%3D10%26hl%3Dfr%26client%3Dfirefox-a%26channel%3Ds%26rls
%3Dorg.mozilla:fr:official%26sa%3DG>
(4) MediaTerre, op. cit.
(5) Image tirée de <www.pollutionprobe.org/Reports/reprimerfr.pdf> (tirée de<www.fujitaresearch.com>)
(6) Image tirée de <http://generationsfutures.chez-alice.fr/energie/hydrolienne_norvege.jpg>
(7) MediaTerre, op. cit.
(8) Image tirée de <www.pollutionprobe.org/Reports/reprimerfr.pdf>
(9) Image tirée de <http://www.fujitaresearch.com/reports/tidalpower.html>
(10) Image tirée de <www.pollutionprobe.org/Reports/reprimerfr.pdf>
(de G. Boyle. 1996. Renewable Energy: Power for a Sustainable Future.0
(11) MediaTerre, op. cit.
(12) VERNIER, Jacques. Les énergies renouvelables. Paris, Presses universitaires de France,2005.
(13) Ibid.
(14) Pollution Probe, op. cit.
(15) Pollution Probe, op. cit.
(16) VERNIER, op. cit.
(17)<Pollution Probe, op. cit.>
(18) VERNIER, op. cit.
(19) Crest Energy. (2007) Fequenty Asked Question. [en ligne] 1 page.
<http://www.crest-energy.com/index.htm>
(20) Kaipara Forest and Bird. (2007) Energy Options. Crest Energy’s Marine Turbine Tidal Power Proposal.
[en ligne] 1 page. <http://www.kaiparaforestandbird.org.nz/energyoptions.html>
(21) Radio-Canada. (2007) Énergie marémotrice. Une opposition prend forme. [en ligne] 1 page
<http://www.radio-canada.ca/regions/atlantique/2007/07/16/002-NE-maremotrice_n.shtml>
(22) Laponche, Bernard. « L’énergie dans le monde : enjeux et prospective ». In Regards sur la Terre, sous la
direction de Pierre Jacquet et Laurence Tubiana, Paris, Presses de Sciences Po, 2006, p. 71-83.