Le monde des affaires est de plus en plus contraint de répondre aux exigences que commande le développement durable. La responsabilisation des consommateurs, les préoccupations sociales et environnementales des investisseurs financiers et les requêtes des groupes de pressions sont autant de raisons pour les entreprises de voir à leur responsabilité sociale et environnementale. Sommes-nous en voie de falsifier l’idée populaire voulant que l’économie soit l’ennemie jurée de l’environnement? Comment s’assurer que l’entreprise et la société civile s’entendent sur les mêmes objectifs?
Greg Kucharo, À l’ intérieur de l’usine
verte (Inside the green factory), 2004
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Le monde des affaires se responsabilise-t-il?
Le libre-marché porte sa part de responsabilité en ce qui concerne la dégradation de l’environnement. En intensifiant la croissance de la production, il contribue à l’augmentation des activités polluantes, puis il facilite le déplacement des activités industrielles là où les normes environnementales sont moins restrictives. En contrepartie, il peut favoriser la diffusion de technologies plus efficaces sur le plan environnemental, assurant ainsi une meilleure utilisation des ressources(1). La gestion des impacts positifs et négatifs de la mondialisation économique sur l’environnement n’incombe cependant pas seulement à l’État, mais aussi à l’entreprise. Certains auteurs affirment que l’État ne peut plus défendre seul l’intérêt public dans son aspect environnemental et considèrent que la responsabilité sociale de l’entreprise est «au cœur d’une remise en question du rôle des institutions traditionnelles de régulation socioéconomique(2)». Quoique le monde des affaires cumule certains manquements au respect du bien commun, la responsabilité sociale de l’entreprise est de plus en plus intégrée dans les processus de gestion actuels(3). Il semble donc que, dans une certaine mesure, le monde des affaires entame une phase de responsabilisation vis-à-vis de l’environnement.
La responsabilité sociale de l’entreprise
La responsabilité sociale de l’entreprise est «l’ensemble des obligations, légales ou volontaires, qu’une entreprise doit assumer afin de passer pour un modèle imitable de bonne citoyenneté dans un milieu donné(4)». L’entreprise évolue dans un environnement économique, social et environnemental, et le concept de responsabilité sociale de l’entreprise induit la considération de toutes ces sphères(5). Cependant, si les entreprises se montrent enclines à se responsabiliser, ce n’est pas que pour le bon vouloir des PDG. C’est aussi qu’elles sont fortement incitées à le faire par les groupes de pression, les consommateurs et les investisseurs qui, de plus en plus conscientisés, souhaitent dorénavant voir leurs valeurs se refléter dans leurs achats et leurs investissements.
La certification, un gage de la responsabilité sociale et environnementale
Si certaines entreprises rayonnent plus que d’autres en ce qui a trait à leur responsabilité sociale et environnementale, il est néanmoins important de fournir aux consommateurs, aux investisseurs et aux autres groupes de pression un indicateur permettant de reconnaître ce type de performance. C’est le rôle de la certification. En environnement, la certification ISO 14001 (International Standards Organization) en est un bon exemple. Cette normalisation internationale, qui promeut une amélioration continue des aspects environnementaux dans les systèmes de gestion des entreprises, se voit cependant adresser quelques critiques. Par exemple, son application est volontaire et non contraignante et la certification est onéreuse. Cependant, ISO 14001 n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres. On retrouve en effet une multitude de certifications environnementales nationales et internationales. Selon les standards fixés par ces diverses certifications, les impacts de leur application sur les consommateurs, investisseurs et autres intéressés peuvent diverger. Par exemple, une étude portant sur le cas du secteur forestier au Canada a montré que la certification la plus contraignante est celle qui a le plus favorisé les entreprises sur le marché(6). En effet, les entreprises qui ont opté pour la Forest Stewardship Council sont celles qui ont profité de la «Prime verte», ainsi favorisées financièrement sur le marché(7). Parmi les certifications prises en compte dans l’étude, la Forest Stewardship Council était la seule certification qui ait été créée par des organisations non gouvernementales (ONG) telles que Greenpeace et le Fond mondial pour la nature et les Amis de la Terre.
La responsabilité du consommateur
Enfin, même si «le poids des entreprises et des organisations gouvernementales […] pourrait en fait être plus important que celui du consommateur individuel(8)», le rôle de ce dernier, ainsi que le rôle de l’investisseur, demeure extrêmement important. Avec le concept de responsabilité sociale de l’entreprise, l’expression «acheter c’est voter», popularisée par Laure Waridel, présidente d’Équiterre (ONG québécoise prônant des choix individuels et collectifs à la fois écologiques et socialement équitables) prend tout son sens. Pour que le rôle du «consom’acteur» soit encore plus influent, pour que ses choix concordent vraiment avec ses principes, il est nécessaire d’harmoniser les standards de certification et de permettre la représentation tangible des effets de la production et de la consommation de certains produits et services, d’où l’importance de la recherche dans ce domaine.
Il serait tout de même utopique de croire que même les indicateurs les plus précis tiennent réellement compte de l’effet cumulatif de la consommation mondiale… et aboutissent à une certification du genre: «Produit inutile = Surconsommation. N’achetez pas!»
Références
(1) GROSSMAN, G.M. et Krueger, A.B. Environmental impacts of a North American free trade agreement, dans Gareber, P.M. The Mexico-US free trade agreement, Cambridge, MIT Press, 1993, et Lepeltier, S. Rapport d’information sur la mondialisation et l’environnement, no 233, Paris, Imprimerie Nationale, 2004, cités dans LePrestre, P. Protection de l’environnement et relations internationales, Armand Colin, 2005, 477 pages.
(2) PASQUERO, J. «La responsabilité sociale comme nouvelle forme de régulation socioéconomique», dans Gestion, HEC Montréal, 2006, p. 51-54.
(3) Ibid.
(4) PASQUERO, J. La responsabilité sociale de l’entreprise comme objet des sciences de la gestion : un regard historique, dans Turcotte, M-F., Salmon, A. (dir.), Responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise, Presses de l’Université du Québec, 2005, p. 80-111, cité dans Pasquero, J. La responsabilité sociale comme nouvelle forme de régulation socioéconomique, dans Gestion, HEC Montréal, 2006, p. 51-54.
(5) Si vous vous intéressez à la critique de l’oxymoron que crée le jumelage des concepts de «développement économique» et de «respect de l’environnement», vous apprécierez l’article deA.K. Sadruddin intitulé «Développement durable, une notion pervertie», publié dans Manière de voir, no 81 (juin-juillet 2006), p. 68-70.
(6) BOUSLAH, K., M’zali, B., Kooli, M. et Turcotte, M-F. «Responsabilité sociale et environnementale, certifications et performance financière», dans Gestion, HEC Montréal, 2006, p. 125-133.
(7) Ibid.
(8) GREEN, K., Barbara, M., New, S. Greening organizations, Organization & Environment, vol. 13, 2000, p. 206-225, cité dans Bouslah, K., M’zali, B., Kooli, M. et Turcotte, M-F. Op. cit.