Conférence de Guillaume Lecointre, «Sciences: rejets, récupérations, contours»

Le 11 avril dernier, le scientifique Guillaume Lecointre présentait une conférence intitulée «Sciences: rejets, récupérations, contours». Présentée à Montréal dans le cadre de la programmation du Cœur des Sciences de l’UQAM, cette conférence faisait notamment écho à la tendance créationniste, de plus en plus populaire aux États-Unis. Le conférencier est ex-chroniqueur au magazine polémique Charlie-Hebdo, professeur au Muséum national d’histoire naturelle et signataire de l’«Appel à la vigilance contre le néo créationnisme et les intrusions spiritualistes en science» (2000).

Science vs. Religion (« La science interroge comment l’univers a été créé, alors que la religion demande pourquoi il a été créé. »)
Brooke Novak, Science vs. Religion
(« La science interroge comment l’univers
a été créé, alors que la religion demande
pourquoi il a été créé. »)
, 2005
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Guillaume Lecointre nous rappelle que la science décrit des faits de manière objective, selon des modèles pré-établis. Il ne fait aucun doute que la science est utile à de nombreux égards. Or, il arrive qu’elle soit socialement rejetée par certains mouvements, dont le créationnisme, parce qu’elle produit des concepts contre-intuitifs. Par exemple, énoncer que c’est le Soleil qui tourne autour de la Terre et non l’inverse alors qu’à nos yeux, chaque matin, le Soleil semble se «lever» à l’est et se «coucher» à l’ouest sort de l’entendement. De plus, le fait que la science produise un discours spécialisé nuit parfois à son acceptation générale. Mais quel sens doit-on accorder au mot «science»?Guillaume Lecointre associe quatre définitions à ce concept. La première se rapporte à un ensemble de résultats, de connaissances à une époque donnée (ex.: la «science chinoise» du XVIIe siècle). La deuxième définit une communauté ou une institution (ex.: la communauté scientifique). La troisième concerne les applications courantes de la science à la technologie (ex.: la science de l’automobile). Enfin, la quatrième désigne une méthode rationnelle pour construire des affirmations. Parce que le terme emprunte un sens différent selon le contexte dans lequel il est utilisé, certains remettent en cause l’intégrité de la science comme base absolue.

De plus, être en désaccord avec la recherche scientifique dans un domaine donné, l’énergie nucléaire, par exemple, ne justifie pas pour autant le rejet de la méthode scientifique dans son ensemble. La science est en effet souvent perçue comme un ensemble de procédés technologiques mais comme l’indique Guillaume Lecointre, elle ne dicte pas en soi une éthique à suivre. La méthode scientifique est en principe dépourvue de morale. C’est pourquoi il est pensable d’en rejeter certaines applications tout en demeurant en accord avec la méthode qui demeure une pure démarche de mesure.

Par ailleurs, la recherche scientifique a parfois comme objet des considérations mercantiles, par exemple lorsque des compagnies pharmaceutiques mettent sur le marché des crèmes à l’ADN alors qu’aucune étude scientifique n’en démontre les bienfaits. D’autres fois, ses motifs sont idéologiques comme lorsque des faits scientifiques sont interprétés de façon à promouvoir une morale, une ligne de pensée ou une religion. C’est notamment le cas du créationnisme, «doctrine qui explique l’origine de la vie en se basant sur une interprétation littérale de la Genèse, qui sous-tend que les espèces sont fixes et immuables et qu’elles ont été créées subitement et isolément par une puissance divine. […] Le créationnisme va à l’encontre de l’évolutionnisme.(3)».

Il importe donc de définir les contours de la science pour la départir de la «pseudoscience». Guillaume Lecointre a conclu sa conférence par ce qu’il appelle «le nouveau contrat de la science». Selon lui, la science devrait reposer sur quatre principes fondamentaux:

  1. Le scepticisme initial sur les faits et leur interprétation: la science doit s’intéresser aux champs du possible et tenter de prouver, par sa méthode, que ce qui a été «découvert» ne provient pas d’une erreur.
  2. Le réalisme: la science ne repose ni sur des perceptions ni sur des idées que nous avons du réel, mais bien sur le réel lui-même.
  3. Le matérialisme méthodologique: en aucun cas, on ne peut avoir recourt à des explications non matérielles pour expliquer les phénomènes matériels. Le fait d’expliquer la présence de vie sur Terre en faisant intervenir des phénomènes non matériels n’aide en rien la compréhension du monde qui nous entoure et ne peut donc pas être considéré comme de la science. La théorie créationniste ne respecte d’ailleurs pas ce principe.
  4. La rationalité basée sur la logique et la parcimonie: la logique permet d’organiser des tests et des hypothèses, alors que la parcimonie permet de choisir une théorie ou un scénario qui implique une suite de phénomènes restreints.

Finalement, Guillaume Lecointre nous met en garde contre tout ce qui s’apparente à ce qu’il appelle les pseudosciences ainsi qu’aux réponses qu’elles fournissent. Selon lui, la science et sa méthode sont les seules à réellement pouvoir élargir l’univers de notre connaissance en offrant une base qui n’est pas encore trop effritée qui peut être reprise par ceux qui recherchent la connaissance(4). Au fil du temps, la science a remis en question plusieurs conceptions qui s’inscrivaient dans le mysticisme des gens et a ainsi catalysé la perte des métarécits. Après avoir grandement participé à la démystification du monde occidental, elle est maintenant – doit-on s’en surprendre – récupérée par tout un chacun.

Notes

(1) UQAM, Coeur des sciences [En ligne], <http://www.coeurdesscieneces.uqam.ca>. Consulté le 24 avril 2007.
(2) Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences, Actes du Colloque organisé sous l’égide de la Libre pensée, 29 Septembre 2000, 398 p.
(3) Grand dictionnaire terminologique. [En ligne], <http://www.granddictionnaire.com>.
(4) La science a aussi été remise en question par le postmodernisme, mais est demeurée une puissante référence, voir : Sébastien Charles, «De la postmodernité à l’hypermodernité», Arguments 1, (2005), p. 75-93.

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