Alors que nous célébrons l’année Darwin, certains scientifiques tentent de faire accepter une amélioration de leur vision de l’évolution des espèces. Plusieurs cas répertoriés laissent croire que ce processus, qui s’étale sur des millions d’années, pourrait marcher par petit bons rapides nécessitant à peine quelques dizaines de générations. Le cas d’un lézard devenu semi-herbivore en l’espace de 36 ans ou de poissons tropicaux ayant évolués de manière fulgurante sous la pression de prédateurs viennent bouleverser l’idée d’une évolution lente et invisible à l’échelle du temps humaine.
Cette année, l’Angleterre célèbre le 200ème anniversaire de la naissance de Charles Darwin et la 150ème année de la sortie de son œuvre phare, l’Origine des Espèces. Aujourd’hui, sa théorie fait l’objet d’un large consensus auprès de la communauté scientifique. Elle décrit le scenario global de transformation des espèces sur terre. Chaque espèce évolue, se modifie par mutation, proposant ainsi un éventail de possibilités. Cette fluctuation est, selon Darwin, aléatoire. La forme la plus adaptée à l’environnement à laquelle l’espèce est soumise subsiste au dépend des autres. C’est la sélection naturelle, elle n’a rien d’aléatoire. La théorie stipule que la sélection opère avant tout sur les caractères qui apportent les meilleures chances de survie et de reproduction. Sur une échelle de temps géologique de millions d’années, les fluctuations aboutissent en l’apparition de modifications anatomiques et physiologiques. Par exemple, imaginons dans une espèce donnée, un sous-groupe qui migrerait et changerait d’environnement. Soumis à de nouvelles contraintes, il serait modifié par sélection de nouveaux caractères mieux adaptés à sa nouvelle alimentation, à ses nouveaux prédateurs, etc. Si les transformations sont assez importantes pour qu’il ne puisse plus se reproduire avec son espèce d’origine, on parle de nouvelle espèce.
Il est très difficile d’étudier la théorie de l’évolution pour une raison simple, elle s’applique sur des échelles de temps qui sont bien plus grandes que la durée de vie humaine. En observant les espèces existantes en ce moment, on n’a qu’une image arrêtée de l’évolution, un peu comme si on débutait le visionnage d’un film dont on aurait manqué le début. Il y a 24 images par seconde et il nous manque une heure. Mais pour comprendre l’histoire, on ne peut pas simplement s’asseoir et regarder la fin du film. On dispose seulement de trois images successives, un dixième de seconde du scenario. Ces trois images représentent une vie humaine et les données accessibles sur la biodiversité actuelle. On possède aussi quelques rares minuscules fragments d’image provenant du début du film ; ce sont les fossiles révélés par les paléontologues. Aucun enregistrement continu du déroulement de l’histoire des espèces n’existe sous aucune forme. L’érosion et le temps ont tout fait disparaître. Le scenario de l’évolution permettrait de comprendre les mécanismes biologiques moléculaires sous-jacents, qui sont aujourd’hui totalement inconnus.
Et pourtant, selon certains chercheurs il suffirait de regarder la seule fraction d’évolution auquel on a accès pour comprendre l’évolution en cours. Les quelques images du film suffirait à comprendre. Pour eux, les mécanismes évolutifs ne sont pas si lents qu’on peut le croire. Il suffirait de soumettre une espèce à un environnement nouveau pour la voir évoluer en temps réel et de manière assez significative pour que ce soit observable. Cette hypothèse est connue sous le nom d’évolution rapide. Quelques cas ont été rapportés dans la littérature.
Le poisson isolé
Le guppy est un petit poisson tropical d’eau douce, apprécié des aquariophiles pour sa parure d’écailles colorées. Des chercheurs en ont étudié deux groupes venant de deux sites différents sur un même ruisseau du Trinidad et étant séparés par des chutes et des courants forts(1). De par cette caractéristique géographique, le site en amont offre un environnement avec très peu de prédateurs pour ces poissons; l’autre en aval est soumis à 20 à 30 fois plus de prédation. Les scientifiques ont collecté ces deux groupes, ont étudié plusieurs de leurs caractéristiques physiologiques en laboratoire et ont mesuré des variations impressionnantes entre ces derniers. Les individus venant du site sous pression des prédateurs se sont améliorés en augmentant leur capacité d’accélération. Leur âge à la dernière reproduction a été repoussé de 25% et ils ont multiplié leur nombre d’œufs pondus par presque deux. Finalement, en aquarium, leur longévité est d’environ 20% plus longue. Ces résultats ont été confirmés en reproduisant la même expérience avec des spécimens venant d’un autre ruisseau. Étant donné que les poissons isolés des deux sites, à fort prédation et à faible prédation, viennent d’une même rivière et sont à première vue de la même espèce, on peut supposer qu’ils ont été séparés depuis relativement peu de temps. Or une modification adaptative sous pression de sélection par la présence de prédateurs a eu lieu.
L’algue et le rotifère
Une autre équipe de recherche a créé un modèle mathématique pour prédire la dynamique de multiplication de deux populations, une de proies et une de prédateurs, vivant dans un même environnement(2). Leur programme a prévu que dans un premier temps le nombre de proies grandirait. Alors les prédateurs, profitant de l’apport de nourriture que représentent les proies, se reproduisent et abondent. La population de proies diminue en conséquence jusqu’à un point critique où leur quantité limitée porte tort aux prédateurs dont le nombre se met à chuter. Alors le cycle reprend, les proies se mettent à se multiplier de nouveau. Les auteurs ont prédit que la diversité génétique des proies, c’est-à-dire les petites différences entre chaque individu, influencerait la dynamique du cycle de multiplication proie-prédateur en allongeant la fréquence des cycles.
Ces chercheurs ont alors reproduit en laboratoire un micro environnement pour tester leur prédiction. La chlorella, une algue unicellulaire chlorophyllienne, faisait office de proie. Un rotifère (Brachionus calyciflorus), qui est une espèce planctonique multicellulaire tenait lieu de prédateur. Les auteurs les ont cultivés ensemble dans un aquarium et ont vérifié leurs prédictions. Avec la population multi clonale d’algues, donc qui aurait subit une évolution, les cycles multiplication/dépeuplement sont de deux à quatre fois plus longs qu’avec une population clonale d’algues, où tous les individus sont strictement identiques. La conclusion de cette étude est qu’une évolution infime et rapide des algues influence de manière majeure le cycle proie-prédateur. C’est un argument en faveur de l’existence d’une évolution constante et rapide des espèces.
Le lézard et la plante
Un autre cas a défrayé la chronique en 2008 : Dr Irschick et son équipe ont décrit un exemple d’évolution rapide encore plus flagrant puisque cette fois la période de temps pendant lequel a eu lieu les modifications est connue(3). L’histoire commence en 1971 quand des scientifiques déplacent cinq couples de lézards d’un petit îlot croate isolé au milieu de la mer adriatique dans lequel cette espèce pullulait, vers un autre îlot où elle était absente. Ce lézard, du genre Podarcis sicula, est très commun en Europe et est connu sous le nom de lézard des ruines. À l’époque l’observation du développement de ces cinq couples déplacés fut contrainte d’être abandonnée suite à la survenue du conflit Serbo-croate. En 2004, soit 36 ans plus tard, l’équipe du Dr Irschick est revenu sur les lieux du transfert et ont été très surpris de voir que ces lézards s’étaient multipliés au point d’avoir supplanté une autre espèce de lézard présente auparavant. Plus étonnantes encore sont les modifications morphologiques que cette espèce a subies au cours d’environ 30 générations. Les lézards ont sensiblement grandi et grossi, gagnant de la puissance dans la mâchoire. Ceci s’expliquerait par le fait qu’ils aient modifié leur comportement alimentaire en passant d’un régime à grande majorité d’insectes vers un régime mixte d’insectes et de plantes. L’observation de ce changement comportemental s’est accompagnée de l’apparition dans leur tube digestif d’une nouvelle valve permettant le ralentissement de la nourriture. Ceci faciliterait la digestion de la cellulose, principal composant des plantes. Le même type de valve existe dans d’autres espèces de lézards herbivores. Selon les auteurs, les cinq couples de lézards se seraient multipliés et auraient évolué pour s’adapter à un nouvel environnement, ceci en l’espace de 36 ans seulement.
Les trois cas cités ici soutiennent l’hypothèse d’une évolution qui avancerait par sauts rapides dictés par le contexte environnemental. L’évolution ne serait pas un scenario continu pour revenir à la métaphore du film. Ce serait plutôt une histoire faite de courtes avancées entrecoupées de longues pauses. Les changements environnementaux dicteraient l’avancée de la bobine. D’autres rares cas d’évolution rapide sur quelques dizaines de générations ont été rapportés notamment dans le nématode, un minuscule ver de terre. Toutefois, avant que cette amélioration de la théorie de Darwin soit acceptée par la communauté scientifique, d’autres preuves seront nécessaires. Si la théorie de l’évolution rapide est vraie, d’autres cas seront rapportés. Cependant, peut-être faudra t-il attendre plusieurs années, car, aussi rapide soit-elle, l’évolution reste très lente à l’échelle humaine. Notes
(1) Takehito Yoshida, Laura E. Jones, Stephen P. Ellner, Gregor F. Fussmann et Nelson G. Hairston Jr, « Rapid evolution drives ecological dynamics in a predator–prey system », (2003) Nature (424) 303-306
(2) David N. Reznick, Michael J. Bryant, Derek Roff, Cameron K. Ghalambor et Dionna E. Ghalambor, « Effect of extrinsic mortality on the evolution of senescence in guppies », (2004) Nature (431) 1095-1098
(3) Anthony Herrel, Katleen Huyghe, Bieke Vanhooydonck, Thierry Backeljau, Karin Breugelmans, Irena Grbac, Raoul Van Damme, and Duncan J. Irschick, « Rapid large-scale evolutionary divergence in morphology and performance associated with exploitation of a different dietary resource », (2008) PNAS (105)4792–4795