L’hérédité n’est pas seulement génétique

Le préfixe «épi» signifie «au-delà», «en dehors». L’épigénétique est donc la science qui étudie ce qu’il y a «au-delà» de la génétique, soit tout ce qui ne peut être expliqué par l’étude des gènes. Pas toujours pris au sérieux, ce concept, qui a émergé dans les années 80, commence à s’imposer sur la scène scientifique internationale. Les études sur l’épigénétique suscitent de nos jours un véritable engouement.

DNA – Blue
Spanish Flea, DNA – Blue, 2006
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Contexte

Aujourd’hui cité dans de nombreux articles, conférences et colloques, l’épigénétique a pourtant parfois attiré une vive hostilité de la part de la communauté scientifique. Et pour cause, ce concept «au-delà des gènes» est une remise en question de la génétique moléculaire classique, qui s’est affirmée après la découverte de la structure de l’ADN en 1953 par Watson et Crick. « Un gène, une protéine» ou encore «un génotype, un phénotype», le phénotype étant l’ensemble des caractères visibles exprimés par les gènes. À l’époque, la découverte de la molécule sur laquelle se trouve l’ensemble des gènes semblait enfin appuyer toutes les théories scientifiques de l’hérédité, avancées depuis le début du siècle. Un nouveau «dogme» était né. L’ADN, présent dans le noyau de chaque cellule de notre organisme, est en fait un code qui sert à fabriquer nos protéines, les constituants essentiels du vivant. En quelque sorte, un programme génétique universel commande la fabrication de l’individu tout entier.

Un nouveau concept

Très vite, des scientifiques se rendent compte que ce «tout génétique» n’explique pas tout. Pour eux, l’environnement moléculaire dans lequel «baigne» l’ADN, et surtout les interactions mutuelles qui y existent, occupent une place sous-estimée dans la machinerie de l’hérédité. C’est ainsi que le concept de l’épigénétique commence à prendre forme.

Conrad Weddington, considéré souvent comme le père de l’épigénétique, démontre, dans les années cinquante(1), que les embryons de Drosophiles ayant subi un stress transitoire (température élevée), développent plusieurs malformations qui sont transmises à la génération suivante. Les phénotypes restent stables sur plusieurs générations, même en l’absence de stress. Ces résultats, proches du Lamarckisme – théorie prônant que les changements physiques acquis au cours de la vie peuvent être transmis à la descendance, ce qui va à l’encontre de la théorie Darwinienne– ont été reproduit récemment, et notamment sur d’autres d’organismes.

L’épigénétique essaye finalement d’expliquer, par exemple, pourquoi deux poissons ayant le même patrimoine génétique expriment des couleurs d’écailles différentes. Ce concept, basé sur l’équilibre entre le génome et l’environnement moléculaire de la cellule, étudie les régulations internes qui agissent sur les gènes et se transmettent à la descendance. L’ADN ne serait plus le programme informatique d’un ordinateur, mais seulement une base de données, pour reprendre l’image d’Andras Paldi, épigéniticien au Généthon d’Evry en France(2).

Les mécanismes

Au niveau cellulaire, un des mécanismes épigénétiques connu implique des protéines nommées les histones. Ces protéines sont en contact direct avec la molécule d’ADN et jouent un rôle déterminant dans la régulation des gènes. Des modifications chimiques de ces protéines peuvent changer la conformation de l’ADN, son degré d’enroulement, ce qui influence la transcription des gènes en protéine.

Un autre phénomène est très étudié: la méthylation. Ce processus chimique ajoute ou enlève un groupement méthyl sur un substrat, en l’occurrence l’ADN. Par exemple, une faible méthylation va favoriser la transcription d’un gène tandis qu’une forte méthylation va l’inhiber.

En résumé, les gènes peuvent être «éteints» ou «allumés» par des modifications épigénétiques. Comme le souligne Bryan Turner, chercheur à l’Université de Birmingham au Royaume Uni, «l’ADN est comme une bande magnétique porteuse d’information, mais qui ne sert à rien sans magnétophone. L’épigénétique joue en quelque sorte le rôle du magnétophone(3)».

Vers une nouvelle science de l’hérédité?

Les études sur l’épigénétique projettent un autre regard sur le fonctionnement du vivant. Une vision différente de l’approche des scientifiques sur un certain nombre de problématiques actuelles, comme le cancer, la thérapie génique, le clonage, la greffe cellulaire, etc. L’ADN n’est pas le seul acteur dans le scénario. «Pourquoi ne pas parler de science de l’hérédité ?» questionne l’épigénéticien Andras Paldi, lors de son passage à Montréal(4). Pour lui, cette science engloberait la génétique, l’épigénétique et d’autres mécanismes, chacune de ces disciplines ayant leur importance dans le fonctionnement de la cellule.

Lors de l’émission «Les années lumières», présentée par Radio Canada, le chercheur hongrois interpelle d’ailleurs: «Si vous avez une grande boîte avec des pièces de Lego, est-ce que vous pouvez prévoir, à partir de ce catalogue des pièces, ce que votre enfant peut construire avec ?(5)» Cette image fait bien comprendre que l’ADN, aussi «moléculairement» connu soit-il, n’explique pas seul comment se construit un organisme vivant. Peut-être qu’une partie des investissements gigantesques attribués aux séquençages systématiques des génomes pourrait être utilisée différemment?

Notes

(1)Waddington C., The strategy of the genes: A discussion of some aspects of Theoretical biology, Macmillan, New York, 1957.
(2) Entrevue privée du 20 octobre 2008.
(3)http://epigenome.eu/fr/1,1,0
(4) Entrevue privée du 20 octobre 2008.
(5) Emission du 26 octobre 2008.

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