La ruée vers les biocarburants

Montée du prix du brut, famine dans le tiers-monde, réchauffement climatique; dans le contexte mondial actuel de crise alimentaire, énergétique et environnementale, plusieurs voient dans les biocarburants la solution à tout. Bien qu’une majorité veuille maintenir les cultures céréalières aux fins d’alimentation, la pression demeure forte pour les rediriger vers la production de biocarburant. Sommes-nous face à une panacée, une simple tendance ou une véritable innovation? Un peu des trois, ceci n’est qu’une question de contexte…

 traffic jam
myuibe, traffic jam , 2007
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Juillet 2005: sommet du G8 à Gleneagles au Royaume-Uni. On y discute, entre autres, énergies renouvelables et changements climatiques. De là est né le partenariat mondial sur les bioénergies (Global Bioenergy Partnership, GBEP) qui remettait, en novembre 2007, son rapport sur le développement de la bioénergie1. On y reconnaît le potentiel lié à l’utilisation de cette énergie pour répondre à plusieurs enjeux mondiaux: la hausse du prix du brut, la demande croissante d’énergie des pays en développement, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, etc.

Pour produire du biocarburant comme l’éthanol, on utilise actuellement du maïs, de la canne à sucre ou des céréales, quoique de nouvelles techniques permettent l’utilisation de débris organiques divers. Chacune de ces ressources est donc renouvelable et beaucoup plus abondante que les réserves de pétrole. La combustion de l’éthanol a aussi l’avantage de produire beaucoup moins de gaz à effet de serre (GES): 20 à 40 % moins que l’essence ordinaire lorsqu’en mélange éthanol-essence2. Le carburant fait d’éthanol pur permettrait de réduire jusqu’à 90% les émissions de GES par rapport à l’essence1,2. En revanche, l’éthanol dilué dans l’essence produit davantage de GES que s’il est brûlé seul. Enfin, la production de cette énergie peut engendrer des effets néfastes sur le plan alimentaire, environnemental et économique.

Une panacée?

La production de biocarburants a reçu le feu vert officiel des Nations Unies. Comme c’est le cas lorsque l’on vient de découvrir une nouvelle ressource, verra-t-on l’apparition de «boom town» d’agrocarburants? On doit reconnaître que cette pratique viendrait effectivement en aide aux communautés rurales, comme au Brésil, où les emplois et l’argent se font souvent rares3. Mieux encore, c’est une énergie plus propre; bref, elle aurait tout pour plaire!

Mais les biocarburants sont-ils si écologique qu’on nous le répète? Plusieurs spécialistes s’élèvent vivement contre la production massive de bioéthanol à base de céréales et leurs arguments sont de taille. Le GBEP a mis en garde les pays producteurs quant aux risques d’exploitation non durable qui pourraient survenir. La durabilité liée à la bioénergie dépend grandement de son développement, en particulier pour ce qui est de l’utilisation des terres et de la production à grande échelle. En effet, les cultures d’agrocarburants pourraient encourager la déforestation et l’utilisation de produits chimiques nuisibles pour l’environnement. Certains considèrent même l’éthanol-grain comme un meurtrier; il diminuerait les réserves alimentaires habituellement envoyées au tiers-monde et en augmenterait la demande et les prix3. Plusieurs voient dans cette ruée vers l’or la création de nouveaux problèmes mondiaux majeurs; il est donc difficile de déterminer si l’engouement pour cette nouvelle technologie persistera malgré tout.

Une simple tendance?

Partout dans le monde, on voit la production d’éthanol augmenter, comme au Brésil où la proportion d’éthanol dans l’essence atteint 40%3. C’est même davantage que ce que nos moteurs nord-américains peuvent tolérer (10% d’éthanol). En comparaison, le gouvernement du Québec a pris, en mai 2006, l’engagement dans sa stratégie énergétique d’atteindre l’objectif de 5% d’éthanol dans l’essence vendue au Québec d’ici 2012. Pour ce faire, il s’est doté d’une première usine d’éthanol-maïs à Varenne, mais ne souhaite désormais plus en construire d’autres compte tenu des inconvénients liés à l’utilisation du maïs. En juillet dernier, le gouvernement canadien a lui aussi senti le besoin de légiférer à l’échelle nationale en visant 5% d’éthanol dans l’essence d’ici 2010.

Nous faisons face à un mouvement planétaire, mais pour lequel certains affichent plus d’ambitions que d’autres. À la fin de l’année 2006, le Canada comptait trois usines en construction, alors que les États-Unis en comptaient cinquante-neuf, toutes des usines d’éthanol-grains4. Les autres formes de bioénergie, comme l’énergie-bois, sont également en plein essor. Plusieurs projets ont été développés pour utiliser les résidus forestiers et agricoles pour produire des combustibles solides à bas prix5, 6. Cet engouement s’essoufflera peut-être un peu, mais le besoin est là et les usines produisent…

Une véritable innovation?

La véritable révolution verte viendra peut-être de l’éthanol de 2e génération ou éthanol cellulosique. On y utilise la biomasse brute (arbres, arbustes, graminées, algues, fumier animal, etc.) et la biomasse secondaire, composée de papier, carton, cuir, fibre textile, huiles à friture, etc. Il n’est donc plus question de détourner la production alimentaire, mais plutôt d’utiliser des déchets organiques forestiers, agricoles ou domestiques.

L’éthanol est produit à partir du glucose contenu dans les tissus végétaux. Celui de 1re génération utilise l’amidon des grains comme le maïs, une matière directement décomposable. En revanche, l’éthanol de 2e génération est créé à base d’un glucose, produit de la cellulose, une matière végétale fibreuse7. En juin dernier, le gouvernement québécois a emboîté le pas et injecté 25 millions dans la création de la Chaire de recherche en éthanol cellulosique à l’Université de Sherbrooke8. L’objectif est de combler les besoins en éthanol d’ici 2012, date butoir de la stratégie énergétique québécoise.

Mais bien qu’elle soit beaucoup plus écologique que l’éthanol-grain, l’utilisation de la biomasse cellulosique n’a pas que de bons côtés. En forêt, particulièrement, elle encourage les industriels à récupérer les résidus de coupe qui seraient normalement laissés en décomposition sur le sol. On parle alors d’exportation de nutriments se faisant au détriment de la productivité et de l’équilibre des écosystèmes forestiers9. Certains sols sont particulièrement sensibles à cette exportation, mais les décideurs ne semblent pas s’en soucier pour l’instant. Quoi qu’il en soit, le coût écologique et alimentaire de ce type de carburant demeure certainement moins élevé que celui de l’éthanol-grain.

La solution résiderait donc davantage dans une production de biocarburant écologiquement durable, mais qui favorise également l’utilisation de résidus non alimentaires. Il est crucial de s’intéresser à l’évolution de cette véritable ruée vers l’or des années 2000 puisque ces questions écologiques et éminemment politiques représentent un enjeu dont les conséquences définiront la prochaine économie planétaire.

Notes (cliquez sur le numéro de la note pour revenir au texte)

1. Gazette du Canada, Loi canadienne sur la protection de l’environnement, 2006, [en ligne] http://canadagazette.gc.ca/partI/2006/20061230/html/notice-f.html. Consulté le 13 février 2008.
2. GBEP, A review of the current state of bioenergy development in G8 +5 countries, Food and Agriculture Organization of the United Nations, Rome, 292 p., 2007.
3. Guy GENDRON et Germain THIBAULT, La fièvre verte, Société Radio-Canada, Enquête, 8 novembre 2007, 43 min. [en ligne] <http://www.radio-canada.ca/actualite/v2/enquete/?r=4>. (Page consultée le 13 février 2008).
4. Biofuels journal, Ethanol Plants Under Construction in the United States and Canada. 3 novembre 2006, [en ligne] <http://www.biofuelsjournal.com/articles/Ethanol_Plants_Under_Construction_in_the_United_States_and _Canada-25418.html>. (Page consultée le 13 février 2008).
5. Alexis BEAUCHAMP, « Transformer le bois mort en électricité », Vision durable, 17 décembre 2007, [en ligne] <http://www.visiondurable.com/article-168140-Transformer-le-bois-mort-en-electricite.html>, (Page consultée le 1er février 2007).
6. Steeve PARADIS, « Opco technologies : utiliser la biomasse pour chauffer les écoles », Le Soleil, jeudi 29 novembre 2007, [En ligne] <http://www.cyberpresse.ca/apps/pbcs.dll/article?AID=/20071129/CPSOLEIL/ 71128194/>. (Page consultée le 1er février 2008).
7. CTEC (centre de la technologie de l’énergie de CANMET), Conversion biochimique – l’éthanol ou l’ « essence verte », Ressources naturelles Canada, [en ligne] <http://www.canren.gc.ca/ app/filerepository/Ethanol%20the%20Green%20Gasoline%20French.pdf>. (Page consultée le 13 février 2008).
8. Gouvernement du Québec, Près de 25 millions de dollars d’investissements dans la recherche sur l’éthanol cellulosique en Estrie, Juin 2007, [en ligne] http://communiques.gouv.qc.ca/gouvqc/communiques/ gpqf/juin2007/07/c2009.html. (Page consultée le 13 février 2008).
9. Évelyne THIFFAULT, Bioge´ochimie des proce´de´s de re´colte forestie`re dans la zone bore´ale du Que´bec, thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 2006, 148 p.

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