Depuis la révolution de l’électronique et de l’informatique, nombreux furent les auteurs de science-fiction, d’Assimov avec ces robots et à la récente trilogie Matrix, à nourrir l’inconcient collectif de récits fantastiques sur nos supposées relations avec ces êtres mi-hommes mi-machines, que sont les cyborgs. Ces histoires se déroulent toutefois dans des univers futuristes assez lointains. Mais les derniers progrès effectués par plusieurs équipes de recherche dans le domaine des neuroprothèses tendent à nous prouver que la réalité rattrappe la fiction…
Hobvias Sudoneighm, Tasse de robots
sur fond blanc, « Puis-je vous emprunter
une tasse de robots ? »
(Cup of robots – on white), 2004
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Lors des derniers mois, des avancées majeures dans le domaine des prothèses démontrent que la recherche scientifique est à même de réaliser les fantasmes les plus fous. Pour mieux appréhender la portée de ces réalisations il est nécessaire dans un premier temps de bien comprendre ce qu’est une prothèse : il s’agit d’un appareil servant à remplacer un organe ou un membre disparu. C’est l’évolution de la traditionnelle jambe de bois que les pirates utilisaient lorsqu’ils avaient perdu une jambe. Depuis, les matériaux composites ont remplacés le bois et ont permis à de nombreuses personnes de retrouver une existence plus autonome. Il s’agit déjà là d’une avancée certaine en médecine.Mais ces récentes innovations vont bien plus loin encore. Elles offrent aux personnes amputées la possibilité de contrôler directement par la pensée ces membres artificiels et même de retrouver véritablement des sensations telles le toucher et même la vue. Au Rheabilitation Institute de Chicago, l’équipe du Docteur Todd Kuiken a permis à une jeune américaine de devenir la première femme bionique. Elle a reçu une prothèse complète de bras, main comprise, totalement contrôlée par la pensée(1). Cette jeune américaine, Claudia Mitchell, avait perdu son bras, amputé à partir de l’épaule, à la suite d’un accident. Une équipe de neurochirurgien a redirigé les nerfs moteurs qui contrôlaient la main et le bras avant l’accident vers quelques muscles pectoraux. La rééducation consista en grande partie pour la patiente à s’imaginer bouger son bras pour stimuler les nerfs et faciliter ainsi la prise de la greffe. Le résultat fut que, le cerveau s’imaginant bouger la main, c’est en réalité les muscles de sa cage thoracique qui bougeaient. C’était la première étape du projet de l’équipe du Docteur Kuiken, réussir cette dérivation: rediriger, reconnecter plusieurs nerfs moteurs sur d’autres muscles. Car cela permet dès lors, au moyen de plusieurs neuro-électrodes, de capter l’activité des muscles, et de repérer ainsi l’intention de mouvement. Au prix d’un léger traitement informatique, Mme Mitchell, est capable maintenant de mouvoir avec précision son bras robotique, muni d’une main, implanté au niveau de l’épaule.
Cette avancée est remarquable, mais les choses ne s’arrêtent pas là. De la même manière que pour les nerfs moteurs, l’équipe du Rheabilitation Institute de Chicago a réussi à faire circuler l’information dans l’autre direction: de la prothèse vers le cerveau. Ils ont réussi, avec une méthode similaire, à redonner des sensations à la patiente. Elle ressent le chaud, le froid et le toucher de sa main artificielle. Les chercheurs, pour cela, ont redirigé les nerfs sensitifs de l’ancien bras, ceux qui acheminent les «sens», vers un petit carré de peau de la cage thoracique. Grâce à des capteurs sur la prothèse, un traitement informatique, et encore une fois des électrodes bien placées, ils ont permis à leur patiente d’avoir quasiment les mêmes sensations qu’avec une main normale.
Ainsi une équipe de recherche a réussi à reconnecter les nerfs d’un patient de telle manière qu’ils puissent recevoir ou transmettre des informations au système nerveux périphérique. Étant donné l’évolution de la science dans ce domaine au cours des dernières années, l’être humain n’est plus qu’à quelques années de ressembler au Six million dollar man. Malgré tout il subsiste un manque à cette technique: comment aider un patient s’il faut que l’interface se fasse au niveau du système nerveux central, autrement dit, le cerveau? Réponse: en branchant directement des électrodes sur sa surface. Quelques équipes de part le monde travaillent actuellement à atteindre cet objectif.
Une équipe dirigée par le professeur Mohamad Sawan à l’École Polytechnique de Montréal rend la vue aux aveugles(2). En effet, on sait maintenant qu’une impulsion électrique localisée au niveau du cortex visuel crée un point lumineux pour le patient. Ainsi en créant une matrice d’électrodes, à la manière de l’écran que vous regardez maintenant ou chaque pixel serait une électrode, et en la fixant sur le cortex visuel, l’équipe prévoit de «projetter» les images captées par deux caméras placées sur des lunettes. Ce projet de neuroprothèse permet ainsi de restituer, en théorie, une vision claire en trois dimensions à des aveugles. Une équipe américaine a depuis réalisée un implant qui a permis de restituer particiellement la vue à un aveugle(3).
Une autre équipe, celle du professeur John Donoghue à la Brown University du Rhode Island en partenariat avec l’entreprise Cybernetics Neurotechnology Systems à Foxborough, Massachusetts, a permi à un individu tétraplégique (qui ne peut rien bouger ni rien sentir en dessous de son cou) de faire bouger un curseur sur un écran d’ordinateur(4). Selon le même principe, une équipe de neurochirurgien a implanté dans le cortex moteur de cette personne de multiples électrodes qui permettent de capter l’envie de mouvement. Après une longue période de réapprentissage pour le cerveau, le patient, Matt Nagle, peut désormais presque surfer sur Internet, ou encore jouer à des jeux vidéo rudimentaires seulement par la pensée.
Ces grandes avancées ont pu être réalisées grâce à deux principes directeurs: le cerveau traite différents types d’informations à différents endroits et le cerveau est «élastique»(5). En d’autres mots, certains groupes de neurones sont dédiés à des tâches précises: à l’arrière du crâne se retrouve l’aire qui traite la vue, alors que d’autres endroits gèrent les émotions, la motricité, la mémoire, etc. Et le cerveau peut apprendre: les liaisons entre neurones peuvent, au prix de long efforts technologiques et de rééducation, se réorganiser d’elles-mêmes pour s’adapter à un nouvel environnement. Un peu à la manière d’un aveugle qui «compense» avec son odorat, son ouïe, etc.
Ces grands principes sont connus depuis peu de temps par la communauté scientifique. Malgré cette courte période, les premières générations de neuroprothèses sont très encourageantes pour améliorer la vie de personnes amputées. Mais comme toutes les avancées médicales, elles peuvent susciter des craintes sur leurs utilisations futures. L’humanité va-t-elle évoluée vers des êtres reconstruits, améliorés comme dans la série télévisée Six millions dollars man ou vers des cerveaux branchés sur des machines, comme dans le film Matrix, pour faciliter l’exploration spatiale? L’avenir répondra à ces questions. Mais nous devrions d’ors et déjà débattre du type d’humain que l’humanité désire concevoir.
Notes
(1) Washington Post. 14 septembre 2006. « For 1st woman with bionic arm, a new life is within a reach ». [En ligne]. <http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2006/09/13/AR2006091302271.html>. Consulté le 7 février 2007.
(2) Harvey, J.-F., Roy, M., Sawan, M., « Visual Cortex Stimulation Prototype based on Mixed-Signal Technology Devices ». Dans Int. Functional Electrical Stimulation Society Conference (IFESS’99), Sandai (Japan). Août 1999.
(3) Dobelle , W.H., « Artificial vision for the blind by connecting a television camera to the visual cortex ». Dans American Society of Artificial Internal Organs (ASAIO), no. 46, janvier 2000, p. 3-9.
(4) Hochberg, L. R. et al. « Neuronal ensemble control of prosthetic devices by a human with tetraplegia ». Dans Nature, vol. 442, 13 juillet 2006, p.164–171
(5) Abbott, A. « In search of the sixth sens ». Dans Nature, vol. 442, 13 juillet 2006, p. 125-127