Les Oméga-3, vers une méthode alternative pour traiter la dépression.

Pour le docteur David Servan-Schreiber, « Le cerveau est un moteur de haute performance conçu pour fonctionner avec une essence très raffinée alors que nous le faisons tourner avec du diesel de mauvaise qualité.(1)» Cette « essence raffinée » dont parle l’auteur du best-seller Guérir le stress, l’anxiété et la dépression sans médicament ni psychanalyse est un acide gras essentiel : l’omega-3. Depuis les années 70, les études explorant les impacts de l’oméga-3 sur l’organisme ont permis de reconnaître, entre autres, les bienfaits des oméga-3 sur la prévention des maladies cardiaques.

Blue state
Max Boschini, Blue state, 2006
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Aujourd’hui, l’enjeu est ailleurs, il concerne le domaine de la santé mentale. En effet, l’image du docteur Servan Schreiber nous permet aisément d’imaginer une pollution consécutive à la combustion « d’un diesel de mauvaise qualité ». Mais cette combustion, métaphore d’une alimentation déséquilibrée, ne serait-elle pas à l’origine de changements thymiques qui font rimer cette pollution avec dépression? C’est l’hypothèse que des études récentes tendent à corroborer en explorant l’efficacité de l’EPA (acide eicosapentaenoique) des oméga-3 dans la stabilisation de l’humeur.

L’alimentation

Les acides gras oméga-3 sont essentiels parce que le corps ne peut pas les produire et qu’ils doivent nécessairement se retrouver dans notre alimentation. Les oméga-3 sont présents dans les poissons sauvages plutôt que dans ceux d’élevage ainsi que dans les petits poissons qui se trouvent au début de la chaîne alimentaire : anchois, maquereaux, sardines, harengs… Certains oméga-3, surtout ceux d’origine végétale, ne contiennent pas d’EPA. Ainsi, les études scientifiques suggèrent que c’est surtout l’EPA, et non le DHA (acide docosahexanoique) des acides gras oméga 3, qui vient en soutien des émotions positives (2). Il est à noter que les oméga-3 sont aussi disponibles sous la forme de compléments alimentaires en capsules d’huile de poisson.

Au niveau cardiovasculaire et inflammatoire

Nous devrions avoir un équilibre dans notre alimentation entre les oméga-6 (présents dans les huiles végétales) et les omega-3. On observe aujourd’hui dans l’alimentation des populations occidentales, un déséquilibre en faveur des oméga-6 qui crée un état physiologique propice aux maladies cardiovasculaires, aux maladies inflammatoires et aux troubles allergiques.

Le fonctionnement des neurones

Les acides gras Oméga-3 influencent la structure et le fonctionnement du cerveau. Les 2/3 du cerveau sont constitués par des acides gras qui composent la membrane des cellules nerveuses. Cette membrane joue un rôle primordial dans la communication entre les neurones puisque toutes les informations transitent nécessairement par la membrane de la cellule nerveuse. L’EPA améliore la fluidité des membranes des neurones et facilite la transmission des neurotransmetteurs et des hormones associées à l’équilibre émotionnel (comme la sérotonine) et aux émotions positives (comme la dopamine) et des hormones du stress (comme le cortisol).

Cependant, l’efficacité de cette membrane dépend du régime alimentaire. Les acides gras qui ne sont pas produits par l’organisme doivent être ingérés pour qu’ils soient présents dans le sang afin d’être incorporés aux membranes cellulaires.
De plus, les oméga-3 exercent un rôle prépondérant dans le développement du cerveau du fœtus ou du nouveau né. Lors de sa grossesse, la femme doit par conséquent puiser dans son alimentation assez d’omega-3 pour que le bébé ne risque pas de naître prématurément ou avec un poids anormal. Lors de grossesses successives, une mère risque d’accumuler des carences en oméga-3, ce qui pourrait la conduire à une dépression post-partum chez la mère.

La dépression majeure

La dépression majeure est une maladie biopsychosociale, c’est-à-dire qu’elle est associée à des facteurs biologiques (un dérèglement ou une anormalité au niveau chimique), à des facteurs psychologiques (une gestion du stress inadéquate) et à des facteurs sociaux (stresseurs présents dans l’environnement extérieur).Tout le monde a déjà fait l’expérience de certains symptômes de la dépression majeure : perte d’intérêt, humeur dépressive, diminution de l’énergie, de l’appétit, du sommeil, de l’estime de soi ou difficultés de concentration. Cependant, dans le cas de la dépression majeure, les symptômes sont d’une telle intensité que la maladie prédispose au risque d’une tentative de suicide.
Depuis le début du XXe siècle, le taux de dépression dans le monde ne cesse d’augmenter et cette tendance s’est accélérée depuis la seconde guerre mondiale. Parallèlement à cette augmentation du taux de dépression, notre régime alimentaire a considérablement changé. Nous avons augmenté notre consommation d’huiles végétales (riches en Oméga-6) et diminué notre consommation de gras Oméga-3.

La recherche

De nombreuses études concourent à démonter un lien entre l’inquiétante augmentation de dépressions majeures et un taux significativement plus bas d’acides gras Oméga-3 chez les individus. Quoique le lien soit existant, soyons prudents dans l’évocation des résultats obtenus puisque le rapport de causalité, c’est-à-dire l’effet de la diminution du taux d’oméga-3 dans l’alimentation sur l’augmentation du taux de dépression dans la population, n’a pas encore été démontré.

En 1999, Dr Andrew Stoll (3) de Harward a prouvé l’efficacité des huiles de poissons riches en Oméga-3 dans la stabilisation de l’humeur et le soulagement de la dépression chez les patients bipolaires. Ces derniers, aussi appelés maniaco-dépressifs, souffrent d’alternances fréquentes et graves entre d’épisodes dépressifs et d’épisodes d’humeur excessivement expansive plus ou moins marqués. Il s’est avéré au cours de l’étude que les patients du groupe contrôle rechutaient plus vite en dépression que les patients du groupe expérimental qui prenaient des Oméga-3.

De même, en 2002, le docteur Nemets (4) d’Israël a obtenu des résultats permettant de conclure que l’EPA exerce un impact sur des patients souffrants de dépression. Les patients sollicités pour cette étude qui ont pris en plus de leurs anti-dépresseurs de l’EPA ont vu leurs symptômes dépressifs s’améliorer de façon significative. Une autre étude publiée dans les Archives of General Psychiatry (5) a permis d’observer que toute la gamme des symptômes dépressifs des patients s’est améliorée : la tristesse, le manque d’énergie, l’anxiété, l’insomnie, la baisse de libido et les idéations suicidaires.
Enfin, tous les regards sont aujourd’hui tournés vers Montréal où se déroule depuis la fin 2005 la plus vaste étude jamais entreprise pour tester les effets bénéfiques des oméga-3 sur la dépression majeure.
Les résultats sont attendus à l’automne 2007. À suivre…

Notes

(1) David SERVAN-SCHREIBER. Guérir le stress, l’anxiété et la dépression sans médicament ni psychanalyse. Paris, Editions Robert Laffont, 2003, p 157. (2) Boris NEMETS, Ziva STAHL, R.H. BELMAKE, « Addition of omega-3 fatty acid to maintenance medication treatment for recurrent unipolar depressive disorder ». In American Journal of Psychiatry, vol. 159, no 3, mars 2002, pp. 477-479.

(3) Andrew L. STOLL. The Oméga-3 Connection : The groundbreaking omega-3 antidepression diet and brain programm. New York. Simon & Schuster, 2001, p133.

(4) Boris NEMETS, Ziva STAHL, R.H. BELMAKE, « Addition of omega-3 fatty acid to maintenance medication treatment for recurrent unipolar depressive disorder ». In American Journal of Psychiatry, vol. 159, no 3, mars 2002, pp. 477-479.

(5) Malcom Peet, David F. Horrobin, E-E Multicentre Study Group, « A dose-ranging study of the effects of ethyl eicosapentaenoate in patients with ongoing depression in spite of apparently adequate treatment with standard drugs ». In Archives of General Psychiatry, octobre 2002, vol. 59, pp 913-919.

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