Le journalisme indépendant et le web

Quiconque lit de temps à autres le quotidien Le Devoir est au courant que ce dernier fête, comme le Canadien l’a fait l’an dernier ad nauseam, ses 100 ans d’existence. Dans un autre registre cependant que celui du Tricolore, Le Devoir propose cette année une série d’événement tournant autour d’une problématique fondamentale, brûlante d’actualité en ces temps de convergence, celle du journalisme indépendant.

Organisée par le quotidien et le centre des médias de l’Université McGill, une journée de conférences se tenait vendredi dernier abordant, sous plusieurs angles, cette problématique du journalisme indépendant. Obligations obligeant, je n’ai pu assister qu’à la première session de l’après-midi, traitant des structures et de la gestion d’un journal indépendant.

Sans revenir sur les conférenciers dont les présentations furent, somme toute, assez restreintes, j’aimerais aborder la question du rapport entretenu entre le journalisme et le web. À une époque où les quotidiens perdent de plus en plus de plumes face au web, leurs revenus publicitaires fondant comme neige au soleil, il est intéressant de remarquer à quel point les journalistes, tout en reconnaissant que leur avenir ne peut être qu’intriqué au numérique, en comprennent encore très mal les implications.

En fait, j’ai été frappé de constater le même décalage face au web que celui présent dans nos département universitaires, de voir les mêmes éclats hautains et troublés face aux blogues que certains professeurs émettent face à Wikipédia. Car dans les deux cas, c’est à la fois l’autorité et la position monopolisitique d’une corporation qui se trouvent mises à mal, et ça heurte la sensibilité de ceux qui en vivent grassement.

Il semble ainsi faire consensus parmi les journalistes que les blogues relèvent davantage du bavardage que de l’information objective (vous me permettrez de faire remarquer à ce sujet que la conception de l’objectivité entretenue par les journalistes a été récusée dans les sciences humaines à partir des années 1930…), un peu comme les professeurs voient dans Wikipédia une hydre non-rigoureuse et inscientifique (et ce malgré le fait que l’encyclopédie en ligne ait un taux de fiabilité concurrençant celui de l’Encyclopedia Britannica).

On affirme l’importance immuable des agences de presse et du filtre journalistique, en ne considérant même pas que des observateurs, simples citoyens sur le terrain, puissent remplacer les structures et institutions héritées du XIXe siècle, et ce malgré le fait que lesdits citoyens puissent être mieux informés d’une situation ou d’un événement, soit parce qu’ils en sont spécialistes, soit parce qu’ils en comprennent le cadre socioculturel, une notion inconnue de la grande majorité des diplômés des écoles de journalisme.

Plus encore, si l’on affirme, sans doute à regret, que le journalisme devra migrer sur support numérique, il semble encore étranger à la psyché de plusieurs que l’interaction, l’échange et le partage propres au web (notamment dans sa forme 2.0) dépasse de beaucoup l’ouverture manifestée par le courrier des lecteurs.

En clair, on est loin du jour où les journalistes accepteront dans l’ensemble de se mettre sur le même pied que leur lecteur et d’engager avec eux une conversation. Pour cela, il faudrait qu’ils descendent de leur piédestal et qu’ils acceptent que l’édifice qui les a fait vivre et leur a donné un certain standing social s’effondre progressivement, que leur renommée ne soit plus fondée sur un statut social, économique et même politique (le fameux 4e pouvoir des démocraties) mais sur la seule valeur de leurs interventions.

Pour cela, il faudra un retour vers le fond pour lequel plusieurs, formés justement à la forme, sont loin d’être aussi bien équipés qu’ils voudraient le croire…

On trouvera un compte-rendu de la journée à l’adresse suivante: http://zeroseconde.blogspot.com/2010/03/le-numerique-est-au-coeur-de-l-du.html

Le suivi des débat en ligne sur Twitter est regroupé sous le hashtag: #CJI

Une réponse sur “Le journalisme indépendant et le web”

  1. J’en suis venu à croire que les journalistes ont développé leur côté «hautain» non pas pour être pédant ou élitiste, mais pour épargner toute critique «de conflit d’intérêts». Une peur morbide.

    Si je suis «dans le même bateau» qu’un mafioso pour mes vacances, est-ce que mon article dénonçant un ministre sera crédible?

    De la même façon, si je suis «dans le même bateau» avec ma communauté, serais-je neutre? La neutralité est au coeur du mythe journalistique.

    Ils ne «conversent» pas pcq ils ont peur d’être «associé» à un groupe ou à un autre (sauf à la confrérie des journalistes -et encore!) pour conserver leur sacro-sainte «neutralité» illusoire.

    Ce n’est pas en leur dessillant les yeux sur la blogosphère qu’il vont comprendre –lieu de perdition et de toutes les compromissions– mais en les amenant à être transparent dans leur subjectivité et –hé oui– en s’aliénant une partie de leur auditoire (on ne peut plaire à tout le monde et prétendre parler au nom d’un «intérêt supérieur»)

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