Depuis bientôt deux ans, l’UQÀM est abonnée aux manchettes : fiasco financier, grève étudiante, changement de recteur, nouvelles politiques. Tant de débats qui donnent à l’UQÀM la couleur de son centre-ville : des klaxons de manifestants, de rares aumônes pour de nombreuses revendications et beaucoup, beaucoup d’étudiants pour si peu de professeurs. Dernièrement, c’est la patience des professeurs qui s’est épuisée sur les doubles portes closes de l’université et de son gouvernement. Leur convention collective étant échue depuis bientôt deux ans, au menu de leurs requêtes se trouvent certes des revendications salariales, mais surtout un plan pour se redonner les moyens d’une vraie vie universitaire : des cours de qualité – dispensés par des professeurs –, un temps pour la recherche, et la préservation de la collégialité de la gestion uqamienne.
Une étude de la firme-conseil Aon confirme que les demandes des professeurs sont raisonnables, prouvant notamment que leurs salaires accusent un retard de 10% sur la moyenne nationale. À cette étude, les professeurs peuvent ajouter le récent appui de plusieurs facultés étudiantes, greffant aux 980 professeurs des milliers d’étudiants en grève, eux aussi pris avec une université qui ne répond plus à leurs attentes. Résumer la grève des professeurs à des revendications salariales est une erreur; comprendre la grève uqamienne comme une grogne éphémère en est une autre : le problème de l’enseignement universitaire est global, et son historique remonte à plusieurs années.
Le gouvernement brandit aujourd’hui le spectre de la récession pour défendre ses positions : quelle hypocrisie! Depuis longtemps, le sous-financement chronique a forcé plusieurs universités à s’endetter, ce qui n’empêche pas les recteurs de s’offrir de charmantes primes de départ – citons les cas outrageux de Roch Denis (responsable du fiasco financier de l’UQÀM) et de Ann Dowsett (en poste depuis 19 mois dans un contexte de négociations avec le syndicat des employés de soutien de McGill). Récemment, le rectorat et les doyens de l’Université de Montréal se sont aussi offerts de spectaculaires augmentations salariales. Enfin, dans son dernier budget, Mme Jérôme-Forget annonçait une hausse de 5% de l’enveloppe accordée à l’enseignement privé, tandis que le public conservait son budget annuel. La récession frappe certes, mais il est indubitable que le gouvernement adopte une logique politique visant à se désengager de l’éducation. Là est la cause de plusieurs maux.
Ce gouvernement est à l’origine d’une privatisation de l’éducation. Sous sa gouverne, le régime des prêts et bourses s’est détérioré, les frais de scolarité ont augmenté, pendant que les universités souffrent toujours de sous-financement. Ce qui se joue à l’UQÀM est la mise en place d’une nouvelle façon de penser l’université : un clientélisme des étudiants et une gestion académique externe, qui promettent un sombre futur pour les universités québécoises. L’augmentation constant du ratio professeur/étudiants nuit à l’enseignement : il en va de la viabilité de certains cours, voire programmes. Incidemment, la charge de travail des professeurs augmente, limitant le temps consacré à la recherche. Par ailleurs, le gel d’embauche des professeurs entraîne un enseignement de plus en plus dispensé par des chargés de cours. On nuit ainsi à la vie intellectuelle du Québec, à ses instances aidant à la prolifération d’un savoir essentiel qui, faut-il encore le rappeler, pense le Québec culturel, politique, scientifique et économique, faisant évoluer notre société dans un monde de défis.
Au cours des dernières années, étudiants et professeurs ont occupé l’espace public pour dénoncer une gestion hypocrite et univoque de l’enseignement universitaire. Malheureusement, jamais le débat n’a pu s’étendre à des considérations autres qu’économiques, permettant ainsi des gains relatifs et empêchant de se pencher sur les réels problèmes du système d’éducation. La grève historique de 2005, ainsi, s’est résumée à un malheureux débat sur les 103 millions perdus – chiffre par ailleurs inexact –, occultant une possible remise en question de la position gouvernementale en matière d’éducation. Il est temps d’élargir le débat et de ne plus s’enfermer dans une financiarisation du savoir et de l’éducation. Un sondage CROP, mené en novembre 2008, confirme que 97% des Québécois croient que l’éducation doit être une priorité : notre gouvernement représente-t-il vraiment ce désir?
Cette semaine, les rues de Montréal seront investies de milliers de professeurs et d’étudiants indignés. En réalité, c’est tout le Québec qui est concerné par les politiques gouvernementales liées à l’enseignement universitaire. Il est impératif qu’un débat de fond ait enfin lieu pour comprendre réellement les enjeux de cette crise universitaire, et enfin sortir d’une simple argumentation économique du problème. La grève des professeurs de l’UQÀM n’est pas une action isolée, elle est le résultat de quantité de décisions qui font dériver l’enseignement universitaire. C’est à nous tous d’y voir.