Sauvetage ou hold-up ?

La crise qui secoue le secteur financier américain depuis maintenant plusieurs mois continue de faire des ravages, autant chez les grands prêteurs que chez les petits propriétaires. Les échafaudages financiers complexes qui ont créé des «marchés du risque» ont montré toute leur fragilité lorsqu’a éclaté la crise des subprimes. Depuis, les géants du crédit se sont retrouvés l’un après l’autre le dos au mur, pris avec des titres de crédit invendables. Devant les échecs répétés du marché à corriger la situation, l’État américain intervient pour assurer la survie de son secteur financier, et pour nettoyer les marchés des titres invendables. Mais il n’y a pas que l’idéologie néolibérale de dérèglementation, de libéralisation et de privatisation de la finance qui soit mise à mal. Plus fondamentalement, les citoyens américains se voient privés de leurs ressources financières pour sauver les intérêts d’un bastion du capital privé qui, on le sait maintenant, ne voit guère plus loin que le profit à court terme.

Money
Jennifer Rensel, Money, 2007
Certains droits réservés.

La première version du plan de sauvetage Paulson/Bernanke ne comportait pas de clauses de sécurité. En gros, Wall Street demandait de l’argent, et l’obtenait sans condition. Plusieurs économistes ont exprimé leurs réserves. James K. Galbraith et William Black, par exemple, ont proposé un minimum de huit clauses qui auraient du être attachées aux 700 milliards de dollars d’aide prévus par le plan, dont une clause qui aurait permis aux autorités publiques d’avoir accès aux livres des compagnies concernées et une autre qui aurait enjoint les administrateurs du programme de divulguer les transactions frauduleuses aux autorités judiciaires. D’ailleurs, le FBI a ouvert une enquête la semaine dernière portant sur des apparences de transactions frauduleuses. Si la première version du plan comportait une clause spéciale qui empêchait toute révision légale des transactions en question, espérons que la nouvelle mouture révisée par le comité bipartisan donnera aux autorités judiciaires le pouvoir d’enquêter sur certains aspects de ce fiasco.

L’argent des payeurs de taxes américains est donc mobilisé pour sauver les financiers de Wall Street. L’État américain, qui avançait que les 35 milliards de dollars requis pour la mise sur pied d’un programme de soin de santé pour les enfants était trop cher payé, trouve maintenant, d’un coup, 20 fois plus pour sauver les responsables d’une crise aux conséquences sociales désastreuses. Les grandes firmes de services financiers pourront maintenant vendre à l’État ce dont personne d‘autre ne veut : des titres de crédit devenu invendables. Pour donner une idée du gigantisme de l’opération, notons seulement que le coût total de la guerre en Irak, qui paralyse déjà l’économie américaine selon certains, s’élève depuis son lancement en 2003 à près de 600 milliards de dollars. Le coût de la dérégulation financière aux États-Unis, processus amorcé dès 1980 avec le Depository Institutions Deregulation and Monetary Control Act et qui s’est finalisé en 1999 avec le Gramm-Leach-Bliley Act, dépassera donc celui d’une guerre dont plusieurs ont dénoncé le poids économique en la comparant à une dépression majeure. De plus, la nationalisation de l’assureur AIG (85 milliards pour 80% du capital) et celle de Fannie Mae et Freddy Mac, transfère également des institutions rongées par la toxicité de leur actif sous responsabilité publique. Le coût total de la crise, en comptant les rachats et le plan de sauvetage, avoisine donc les 1200 milliards de dollars. On en est à deux fois la guerre en Irak !

La crise, qui était déjà ressentie de plein fouet par les classes moins nanties, voit maintenant le public prendre la responsabilité des pratiques vampirisantes du privé qui l’ont mis dans une situation intenable. Les responsables de la crise s’en tireront alors que les ménages endettés et le trésor public subiront tous les contrecoups. Et quel message cela lance-t-il aux financiers aventureux sinon qu’ils peuvent bien miner la survie du système à long terme pour s’enrichir rapidement ; l’État sera toujours là pour réparer les pots cassés par ceux-là mêmes qui prônent un gouvernement minimaliste !

Le gouvernement américain est aussi irresponsable qu’un parent qui prêterait la majeure partie du budget familial à un joueur pathologique. Bien que le comité bipartisan ayant revu et corrigé le premier plan Paulson/Bernanke ait ajouté certaines clauses de contrôle, il n’en demeure pas moins que la prochaine administration, quelle qu’elle soit, aura du mal à rétablir les finances du pays. Obama, qui promet la mise sur pied de plusieurs programmes sociaux, est déjà dans l’eau chaude : son cadre financier n’y tient plus, et l’animateur du premier débat présidentiel lui a d’ailleurs demandé quels étaient les programmes qu’il devrait abandonner étant donné la situation. Comme le résume James Henry : «Le sauvetage met en danger tout l’agenda progressiste, fragilise la démocratie, ne compense pas pour l’argent qui y est mis et ne règle pas le problème à la base. À part de ça, le plan est super !». Comme plusieurs citoyens américains l’ont laissé savoir, lors de nombreuses manifestations, il serait temps que les responsables assument les conséquences de leurs actes. Si la population demande qu’on lui rende des comptes, il serait aussi de mise que ceux et celles qui prônent le tout-marché depuis 30 ans soient également mis devant le coût social de leur idéologie.

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