Le XXe siècle a connu un développement extraordinaire du secteur des transports. Les distances parcourues, les routes asphaltées et le nombre d’automobiles ont augmenté de façon fulgurante. Par exemple, au Canada, le parc automobile est passé de 15,5 millions de véhicules en 1989 à près de 19 millions en 2002. La croissance du nombre de camions légers à essence a été encore plus rapide, leur nombre étant passé de 3 millions à plus de 6 millions pendant la même période. Une tendance semblable est observable au Québec (1).
Une telle croissance n’est pas sans impact sur l’environnement. En vertu de son mandat d’informer la population des facteurs de risque pour sa santé et des interventions préventives qu’elle juge les plus efficaces, la Direction de santé publique (DSP) de Montréal considère l’impact du transport automobile sur la santé publique comme un dossier prioritaire d’intervention. Dans le présent texte (2), nous décrirons les différents impacts du transport automobile sur l’environnement et sur la santé publique et ferons ensuite un survol des solutions possibles et des efforts consacrés par la DSP à la mise sur pied de ces solutions.
La pollution de l’air et les gaz à effet de serre
Dans la région montréalaise, le transport contribue de façon importante à la pollution atmosphérique. Par exemple, ce secteur est la source de 85% des oxydes d’azote (NOX), de 43% des composés organiques volatils (COV) et de 30% des particules, aussi appelées matières particulaires ou PM (3), présents dans l’air. Les NOX et les COV agissent sous l’effet du rayonnement solaire et de la chaleur pour produire de l’ozone, un polluant ayant plusieurs effets sur la santé, comme nous le verrons plus loin. Le transport est également responsable de la production de 47% des émissions des GES dans la région de Montréal (4).
Plusieurs études scientifiques ont été effectuées pour connaître les effets sur la santé de l’ozone et des particules, les deux composantes principales du smog. L’ozone, un gaz irritant à de fortes concentrations, agit surtout sur le système respiratoire lorsqu’il est présent au niveau du sol (5). La toxicité des particules varie selon leur composition et leur grosseur. Ce sont les particules fines de diamètre inférieur à 2,5 microns (ou PM2.5) qui nous préoccupent, en raison de leur capacité à pénétrer loin dans les poumons. Plus récemment, les chercheurs ont commencé à s’intéresser aux effets cardio-vasculaires des particules ultrafines pouvant passer directement dans le système sanguin, qui les transporte ensuite à travers l’organisme.
Quand on examine les retombées de la pollution atmosphérique sur la santé, il faut tenir compte des effets à court terme lors de pics de pollution et des effets à long terme, c’est-à-dire ceux qui peuvent se manifester après des années d’exposition à de plus faibles concentrations de polluants (un résumé de ces effets sanitaires est présenté dans le tableau 1). Les chercheurs de Santé Canada attribuent 1540 décès prématurés par année à la pollution atmosphérique dans la région montréalaise. Sur ce nombre, 400 seraient dus à des décès lors de pics de pollution et les autres seraient causés par une exposition à plus long terme (6), ce qui démontre qu’il faut poursuivre en tout temps les efforts d’assainissement de l’air.
Tableau 1 : Impacts sanitaires de la pollution atmosphérique (7)
Polluant
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Groupes vulnérables
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Effets à court terme
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Effets à long terme possibles
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Ozone | • Jeunes enfants• Personnes souffrant de maladies chroniques et personnes âgées | • Diminution temporaire de la fonction pulmonaire • Augmentation de la sévérité et de la fréquence des crises d’asthme • Augmentation des hospitalisations et des visites à l’urgence pour maladies respiratoires • Augmentation de la mortalité respiratoire |
• Augmentation du risque de développer de l’asthme • Diminution de la croissance des poumons chez les enfants |
Particules fines (PM2.5) | • Jeunes enfants • Personnes âgées • Personnes souffrant de maladies cardiaques et respiratoires chroniques ou de diabète (type II) |
• Augmentation des hospitalisations et des visites à l’urgence pour maladies cardiovasculaires et respiratoires • Augmentation. de la mortalité cardiovasculaire et respiratoire |
• Augmentation de la mortalité par maladies cardiorespiratoires • Augmentation de la mortalité par cancer pulmonaire |
L’augmentation des GES est une cause reconnue des changements climatiques. Au Québec, les changements climatiques sont associés à des épisodes de chaleur accablante plus fréquents, plus intenses et plus longs. Des épisodes tels que celui qui a frappé l’Europe en 2003 sont également associés à des excès de mortalité chez les personnes âgées souffrant de maladies chroniques (cardio-vasculaires, respiratoires, rénales et neurologiques, par exemple) : on a alors recensé plus de 15,000 décès en France (8) seulement. Montréal n’a pas connu de crise aussi importante, mais une analyse rétrospective portant sur les vingt dernières années nous a permis d’identifier deux épisodes de canicule causant une centaine de décès chacun (9). C’est pour cette raison que la Direction de santé publique de Montréal met de l’avant un plan global visant à prévenir des excès de morbidité et de mortalité en lien avec la chaleur accablante.
Mentionnons également qu’une augmentation de la température extérieure peut avoir un effet sur la pollution atmosphérique car une telle augmentation favorise la production d’ozone et la volatilisation des COV.
Les autres impacts sur la santé du transport automobile
Avant d’aborder les moyens de prévention à mettre de l’avant il est important de mentionner les autres impacts du transport automobile sur la santé. Les accidents de la route constituent un fléau majeur. Ils ont par exemple causé plus de 56 000 blessures au Québec en 2003, dont près de 13 000 dans l’île de Montréal (10). Contrairement aux décès par maladie cardiovasculaire ou par cancer qui surviennent à un âge avancé, les accidents de la route affectent des gens de toutes les catégories d’âge. Au Québec, ils causent par exemple un décès sur cinq chez les 4 à 34 ans (11). Il est intéressant de noter qu’à Montréal, ce sont dans les quartiers les plus défavorisés que le nombre de blessés est le plus élevé.
Enfin, des études très récentes commencent à faire un lien entre l’étalement urbain, la dépendance à l’automobile pour chaque déplacement au détriment du transport actif et le développement de problèmes de santé tels l’obésité et l’hypertension.
La nécessité de prendre un virage en matière de transport
Tout ce qui précède démontre l’importance de mettre de l’avant des moyens de prévention efficaces afin de limiter les effets sanitaires néfastes du transport automobile. Ces moyens de prévention suivent essentiellement deux axes :
D’abord, réduire le nombre de déplacements en automobile, notamment en augmentant le financement du transport en commun et en améliorant l’aménagement des villes pour favoriser les modes de voyagement alternatifs à l’automobile et pour rendre tous ceux-ci plus sécuritaires. Plusieurs villes ont effectué un tel virage, notamment en faisant du développement résidentiel et commercial autour des infrastructures de transport en commun et en laissant plus de place aux piétons et aux cyclistes (pistes cyclables en site propre, fermeture ou demi-fermeture des rues, rétrécissement des rues, installation de dos d’âne allongés, etc.). Actuellement, les déplacements dans la région montréalaise se font majoritairement en automobile (près de 70% en heure de pointe le matin). La DSP vise un meilleur partage de la route qui verrait la part modale du transport en commun et du transport actif augmenter de 32% à 50% en période de pointe le matin d’ici 2020.
Ensuite, instaurer des améliorations technologiques pour diminuer les émissions de polluants et des gaz à effet de serre provenant des véhicules.
La mise sur pied de ces mesures préventives requiert la collaboration de plusieurs partenaires aux niveaux municipal, régional, provincial et fédéral. La DSP joue un rôle de sensibilisation auprès de ces partenaires afin de les conscientiser aux impacts sanitaires associés au transport automobile et à la nécessité d’agir. Dans un premier temps, la DSP a consacré le rapport annuel du Directeur pour l’année 2006 au dossier du transport. Un forum ayant pour thème Transport, aménagement urbain et santé : vers une mobilisation montréalaise a ensuite été organisé. Ce forum, qui a réuni plus de 200 personnes et qui a fait appel à des conférenciers venant de Montréal, Québec, Toronto, des États-Unis et de Paris a permis aux participants de constater la panoplie de solutions efficaces, concrètes et accessibles pour redonner plus de place aux piétons, aux cyclistes et au transport en commun tant dans les arrondissements montréalais que dans les autres villes. Le défi pour les mois à venir sera de concrétiser ces solutions pour Montréal.
Notes
(1) KING, N., MORENCY, P., THÉRIEN, F., LAPIERRE, L., GOSSELIN C., DROUIN, L., 2006. Le transport urbain, une question de santé. Rapport annuel 2006 sur la santé de la population montréalaise. Direction de santé publique de Montréal, 132 p.
(2) Le contenu de cet article est tiré du 8e rapport annuel sur la santé de la population montréalaise intitulé : Le transport urbain, une question de santé. Voir note (1) pour la référence complète.
(3) Regroupement montréalais pour la qualité de l’air. 1998. Pollution atmosphérique et impacts sur la santé et l’environnement dans la grande région de Montréal, 355 p.
(4) idem
(5) L’ozone au niveau du sol, ou ozone troposphérique ne doit pas être confondu avec la couche d’ozone dans le stratosphère qui se trouve à plusieurs kilomètres de la surface de la terre et qui nous protège des effets nocifs des rayonnements ultraviolets.
(6) JUDEK, S., JESSIMAN, B., STEIB, D., 2005. Estimation de la surmortalité causée par la pollution atmosphérique au Canada, Santé Canada, 10 p.
(7) KING, N., MORENCY, P., THÉRIEN, F., LAPIERRE, L., GOSSELIN C., DROUIN, L., 2006. Op. cit.
(8) HÉMON, D., JOUGLA, É., CLAVEL, J. et autres, 2003. Surmortalité liée à la canicule d’août 2003 en France, dans le Bulletin d’épidémiologie hebdomadaire, vol. 45-46, p. 221-225.
(9) LITVAK, E., FORTIER, I., GOUILLOU, M., JEHANNO, A., KOSATSKY, T., 2005. Programme de vigie et de prévention des effets de la chaleur accablante à Montréal. Définition épidémiologique des seuils d’alerte et de mobilisation pour Montréal, Direction de santé publique de Montréal, 34 p.
(10) Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), 2004. Dossiers statistiques – accidents, parc automobile, permis de conduire : bilan 2003
(11) idem
(12) Le rapport annuel et les présentations du Forum sont disponibles sur le site Internet de la DSP : www.santepub-mtl.qc.ca