Han Dongfang: à quand les syndicats libres en Chine?

À quand les syndicats libres en Chine? Cette question, délicate et politiquement sensible en République populaire de Chine (RPC), était au centre d’une conférence tenue le 1er février 2007 et organisée conjointement par le Centre d’études de l’Asie de l’est (CÉTASE), le Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT) ainsi que le Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CRÉRIUM). Le conférencier, Han Dongfang, est un symbole de la lutte pour les droits des travailleurs et travailleuses en RPC. Compte-rendu de cette fructueuse incursion dans l’univers du travail en Chine.

 Travailleur Chinois (Chinese Worker)
Paolo Perini, Travailleur Chinois
(Chinese Worker)
, 2004
Certains droits réservés.

La question de la liberté syndicale en Chine populaire se pose dans le contexte de l’ensemble des relations que l’État entretient avec les organisations de la société. Depuis la fondation de la RPC en 1949, les syndicats, comme les différentes organisations de masse (souvent créées de toutes pièces par le Parti communiste), servent essentiellement de «courroie de transmission» entre le régime et la société. Ils n’ont donc pas pour mandat de défendre les intérêts ni les droits des travailleurs et travailleuses, mais plutôt «[d’]expliquer à leurs membres la ligne générale [du Parti] et [de] leur faire accepter et appliquer les mesures gouvernementales qui en découlent(1).» De plus, la politique de réforme et d’ouverture, initiée il y a près de 30 ans, a non seulement causé des transformations sans précédent dans la structure et le fonctionnement de l’économie chinoise mais a aussi, à cause de l’intégration croissante du pays dans le système économique international, contribué à poser la question de la liberté syndicale de manière de plus en plus aiguë.C’est donc dans le cadre de l’insertion de la Chine dans l’économie mondialisée et de l’évolution des relations État-société induite par la modification des rapports économiques et l’abandon de la planification de type socialiste qu’il faut mettre en contexte le plaidoyer de Han Dongfang en faveur de la création de syndicats libres. Avant d’aborder les grandes lignes de son discours, considérons brièvement le parcours étonnant du personnage.

La petite histoire d’un grand homme

D’origine paysanne, Han Dongfang, vit son enfance dans des conditions matérielles plus que précaires. Sa mère, ouvrière dans la construction, n’a pas même les moyens de défrayer les coûts du transport en commun pour se rendre au travail. Durant sa jeunesse, en pleine période de la Révolution culturelle (1966-1976), Han reçoit une éducation très sommaire, souvent interrompue par le climat politique tumultueux et obscurcie par la place démesurée occupée par les principes maoïstes dans le cursus scolaire. Durant les années 1980, Han œuvre dans différents domaines: il est assistant-libraire, ingénieur en réfrigération puis travaille à la construction du réseau ferroviaire national.

En 1989, il participe activement au mouvement pour la démocratie et, avec d’autres travailleurs, fonde le premier syndicat indépendant de RPC, la Fédération autonome des travailleurs de Beijing dont il devient le porte-parole. À la suite de la répression sanglante du mouvement, le 4 juin 1989, la fédération syndicale nouvellement fondée est démantelée et, courageusement, Han se livre aux autorités. Il est alors emprisonné sans procès. Lors de son incarcération qui dure 22 mois, il contracte la tuberculose puis, à l’article de la mort, est finalement libéré. Peu après, il obtient un visa qui lui permet de recevoir des soins aux États-Unis où il se rétablit mais perd toutefois l’usage d’un rein et d’un poumon.

Depuis, il a tenté de se réinstaller en Chine, mais a essuyé le refus des autorités à chaque tentative. Il vit maintenant à Hong Kong d’où il dirige, depuis 1994, le Bulletin du travail de Chine (China Labour Bulletin), une organisation qui surveille l’ensemble des questions liées au travail en Chine et soutient le syndicalisme indépendant. Il anime aussi une émission sur Radio Free Asia(2), laquelle s’adresse à environ 40 millions d’auditeurs sur le continent et traite des conditions et des droits des travailleurs chinois(3).

Pourquoi un mouvement syndical indépendant?

Au début de son intervention, Han explique pourquoi, selon lui, les ouvriers chinois ont besoin de syndicats indépendants. Par exemple, il explique qu’en 2004-2005, le gouvernement, conscient des lacunes relatives à la sécurité dans les mines de charbon, a mis des ressources considérables à la disposition des différents paliers administratifs afin d’améliorer cet aspect de l’industrie. Durant la même période, cependant, il y a eu une augmentation des décès de l’ordre de 17%. Pour le syndicaliste, cette détérioration de la sécurité dans les mines de charbon, malgré les efforts et les ressources déployés par le gouvernement, montre que l’approche essentiellement régulatrice et administrative préconisée par l’État n’obtient pas les résultats escomptés.

Au Guangdong, une province dont les industries sont essentiellement axées sur l’exportation, les cas de maladies industrielles fusent. Dans les manufactures de chaussures, par exemple, on utilise une colle très toxique à base de benzène dont les effets nocifs sur la santé sont nombreux: elle affecte le foie et le système nerveux, entraîne une décroissance des globules rouges dans le sang et peut même causer la leucémie chez les individus les plus vulnérables. Dans l’industrie du jouet (les jouets McDonald’s et Disney, par exemple), les travailleurs peinturent de petits objets sans gants ni masque et doivent en outre nettoyer l’excédent de peinture avec un puissant diluant sans aucune forme de protection. À ce sujet, Han signale qu’il existe un système d’assurance national auquel les dirigeants d’entreprises doivent cotiser. Toutefois, comme une majorité d’entre eux se soustrait à cette obligation, les ressources financières nécessaires à la couverture des assurés sont insuffisantes.

À long terme, il est évident que ce genre de situation risque de dégénérer, avertit Han Dongfang. Dans 20 ans, qui paiera les soins médicaux des millions de travailleurs affectés par différents problèmes physiques liés au travail? Selon le syndicaliste, ignorer cette question équivaut à compromettre la stabilité du régime. Pour l’instant, la Fédération nationale des syndicats de Chine ne négocie pas de conventions collectives et ses représentants ne sont pas élus en dépit du fait que son rôle officiel soit la «sauvegarde des intérêts légitimes et des droits démocratiques des travailleurs(4)». En somme, des syndicats indépendants serviraient à la fois les intérêts des travailleurs et ceux du régime.

L’État et les travailleurs

Comment agissent les ouvriers pour défendre leurs droits et améliorer leurs conditions de travail? Comment le gouvernement réagit-il à ces actions? Han donne de nombreux exemples d’actions ouvrières dans des contextes de conflits de travail. Ces actions varient selon les situations, mais demeurent dans la palette relativement universelle de l’activisme ouvrier. Les réponses du gouvernement, quant à elles, vont de la répression, lorsque l’action est localisée et concerne un petit nombre, à l’accommodation, quand des grèves paralysent un secteur ou impliquent un grand nombre de travailleurs.

En l’absence de conventions collectives dûment négociées, les conflits de travail se multiplient: les figures officielles parlent d’au-delà de 80 000 pour la seule année 2005, mais Han estime que ce nombre est bien en deçà de la réalité. Certaines actions peuvent provoquer des violences, occasionner des arrestations, bref, amener les travailleurs et l’État à se confronter directement. Pour Han, cette dynamique est destructrice et la seule façon d’en sortir serait d’emprunter la voie de la légalité.

Un cadre légal approprié

La Chine dispose-t-elle d’un cadre légal approprié pour régler les conflits et gérer adéquatement les relations de travail? Aussi étonnant que cela puisse paraître, le syndicaliste nous apprend non seulement que ce cadre existe en Chine mais aussi que, à son avis, le pays dispose de l’une des meilleures lois sur les syndicats au monde! En effet, cette loi adoptée en 1992 stipule que les syndicats doivent défendre les intérêts des travailleurs et impose notamment au patronat le financement des syndicats à hauteur de 2% du total de la charge salariale de leur entreprise. En outre, la loi sur le travail adoptée en 1994 veut que les syndicats représentent les travailleurs selon un principe démocratique. Enfin, la constitution de la RPC elle-même accorde la liberté d’association aux citoyens chinois.

Le problème réside évidemment dans le fait que ces lois ne sont généralement pas respectées et que le gouvernement est le premier à les violer. En revanche, Han note des améliorations considérables dans le respect de la légalité: plus de 50% des actions judiciaires entreprises à l’instigation de son organisme se sont soldées par des victoires. Il croit aussi que le judiciaire est de plus en plus indépendant du politique en Chine. Cependant, dans un contexte où les syndicats officiels sont souvent des outils de cooptation employés par l’État, une question demeure: comment et quand pourra-t-on assister à la naissance de syndicats libres en Chine?

Pour Han, le moment est difficile à prévoir. Ce qui l’intéresse davantage est la façon dont cela pourra se produire. Selon lui, la balle est d’abord dans le camp du gouvernement: sans diriger le mouvement, il devra néanmoins l’initier en respectant ses propres lois. Le reste de la tâche doit être laissé aux travailleurs et à la société civile, qui doivent s’organiser dans un cadre démocratique.

La présentation de Han Dongfang s’est close sur cet avertissement lourd de sens qui semblait davantage s’adresser aux résidents de Zhongnanhai(5) qu’aux quelques universitaires réunis, cet après-midi-là, à l’Université de Montréal: l’histoire de la Chine est truffée de cycles d’essor et de dégénérescence qui ont mené à de nombreux renversements dynastiques. Il faut donc remédier à la dégénérescence actuelle pour sortir du cycle et éviter ainsi un nouveau changement de régime.

Notes

(1) BERGÈRE, Marie-Claire, La Chine de 1949 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2000, p. 21.
(2) Radio Free Asia (RFA) a été fondée en 1950 par la CIA afin de servir d’antenne de propagande anti-communiste du gouvernement des États-Unis. L’implication formelle de la CIA a cessé en 1971 mais, depuis, la RFA est toujours financée et administrée par le gouvernement états-unien. Elle diffuse des émissions dans neuf langues asiatiques et est, depuis peu, disponible sur Internet.
(3) Pour une biographie plus exhaustive de Han Dongfang, consultez la page du CÉRIUM consacrée à la conférence, à l’adresse suivante: <http://www.cerium.ca/article3997.html>. Il est également possible de visionner la conférence à partir de cette page. L’ensemble du contenu biographique de cet article est puisé à la fois de la biographie affichée sur la page du CÉRIUM et de l’introduction de la conférence faite par M. David Ownbi, directeur du CÉTASE.
(4) CHINA.ORG.CN, La structure de l’État, [en ligne] une page. <http://www.china.org.cn/french/60793.htm>, Consultée le 03 mars 2007.
(5) Zhongnanhai est un complexe d’édifices à Beijing qui sert de quartiers généraux au Parti communiste et au gouvernement chinois.

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