Le 30 juillet dernier se sont déroulées pour la première fois depuis plus de 40 ans des élections démocratiques en République Démocratique du Congo (RDC), un pays ravagé par une décennie de guerres, civiles et étrangères, et où les conséquences de ces affrontements se font toujours ressentir. Retour sur le déroulement de ce scrutin historique.
La RDC est sans conteste l’un des pays les plus ravagé du monde. À l’heure actuelle, l’insécurité, la violence, l’extrême pauvreté et le non-respect des droits humains continuent à détruire des milliers de vies chaque jour en RDC. Selon un rapport récent de l’UNICEF, intitulé SOS Enfants : République Démocratique du Congo, environ 1200 personnes, dont la moitié sont des enfants, meurent chaque jour des conséquences directes et indirectes des conflits qui perdurent dans l’est du pays entre l’armée congolaise et les groupes rebelles et ce, malgré l’accord de paix de 2003. D’après le même rapport, la RDC constitue le pays où l’on compte le plus grand nombre d’enfants soldats. Entre 30% et 40 % d’entre eux sont des filles et des femmes, principalement des esclaves sexuelles au service des combattants masculins.
Les élections, prévues avec la signature à Pretoria de l’Accord global et inclusif sur la transition en RDC en 2002, représentent donc une phase décisive puisque le gouvernement de transition, dirigé par Joseph Kabila et quatre vice-présidents, est demeuré fragile et contesté de toutes parts. Cette crise de légitimité du gouvernement de transition constitue l’un des facteurs d’instabilité les plus importants non seulement pour la RDC, mais également pour les autres pays de la région des Grands Lacs. Entre autres choses, en raison de l’incapacité du gouvernement à surveiller ses frontières, la RDC s’avère un endroit propice au trafic d’armes légères. Se massent également le long de ses zones non-régulées des groupes armés congolais et étrangers, en provenance notamment du Rwanda (Interahamwe) et de l’Ouganda (LRA).
Des élections historiques
Le 30 juillet dernier, plus de 20 millions d’électeurs et électrices se sont dirigés vers l’un des 52 000 bureaux de vote pour choisir, parmi les 33 candidats, leur prochain chef de gouvernement. À ce jour, il est impossible d’attester le nombre exact de personnes ayant voté, mais les listes électorales comptaient 25.7 millions personnes enregistrées. Au cours de cette journée historique, les Congolais ont également dû élire les membres du Parlement et ce, parmi les 9436 candidats issus de 213 partis qui se sont présentés pour les législatives. Cette longue liste de candidats comprenait notamment plusieurs descendants de personnages ayant marqué le paysage politique – habituellement conflictuel – du Congo-Kinshasa, en l’occurrence, il s’agit de Guy Lumumba (fils de Patrice Lumumba), Justine Kasa-Vubu (fille du premier Président de la République), Nzanga Mobutu (fils du maréchal Mobutu) et Joseph Kabila (fils de Laurent-Désiré Kabila). La majorité des médias occidentaux et africains considèrent ce dernier comme étant le candidat le plus susceptible de remporter la mise sur les 32 autres candidats qui sont en grande partie des personnalités émergentes de la scène politique congolaise. En effet, Joseph Kabila, que l’on a surnommé le « candidat du peuple », dispose des ressources financières, humaines et matérielles les plus importantes. Or, si cela lui accorde une longueur d’avance, son message d’espoir en faveur de la paix et de la stabilité est également celui de ses adversaires les plus sérieux, soit : Jean-Pierre Bemba Gombo, du Mouvement de Libération du Congo (MLC), Ruberwa manywa Azarias, chef du Rassemblement Congolais pour la démocratie (RCD) et Pierre Pay Pay wa Syakassigh, dit « P3 », à la tête de la Coalition des Démocrates congolais (CDC). Enfin, au cours de la campagne électorale a émergé chez plusieurs candidats le concept de « congolité », un concept se voulant rassembleur et susceptible d’atténuer les divisions régionales et ethniques qui caractérisent la société et la culture politique congolaise.
Advenant le cas où aucun candidat ne réussirait à récolter une majorité absolue, un deuxième tour est prévu pour le 29 octobre prochain. Le résultat des élections ne sera toutefois pas connu avant plusieurs semaines en raison des difficultés pratiques liées à l’organisation d’un événement d’une telle ampleur. En effet, les difficultés logistiques et les problèmes de sécurité liés à la tenue des élections sont considérables. D’abord, l’acheminement du matériel nécessaire au processus électoral, puis, le rapatriement des votes a été ralenti en raison d’un manque d’infrastructures de base. Les routes, ponts et voies de communication sont rares sur la majeure partie du territoire congolais dont la superficie est égale à deux fois celle du Québec. En fait, la RDC compte actuellement tout au plus 500 kilomètres de routes sur l’ensemble du territoire. De plus, certaines régions de l’est du pays, en l’occurrence le district de l’Ituri, sont toujours en proie à des violences, ce qui rend le déplacement des électeurs périlleux. Ce n’est d’ailleurs qu’à trois jours des élections que les miliciens locaux, appartenant à la coalition rebelle du Mouvement révolutionnaire congolais (MRC), ont déposé les armes suite à un accord avec le gouvernement. La CEI s’est également acquittée de l’éducation civique de la population – largement analphabète – en vue de sensibiliser les électeurs au processus électoral ainsi qu’à leurs droits et devoirs en tant que citoyens appelés à participer à un scrutin. Cette même commission, créée en vertu de l’Accord global et inclusif, est l’institution congolaise responsable notamment de l’identification des nationaux, de l’établissement des listes électorales, de la tenue du vote, du dépouillement ainsi que de l’annonce des résultats.
Les élections, dont le coût s’élève à plus de 400 millions de dollars américains, ont été principalement financées par l’Union européenne (UE) qui s’est également employée à envoyer 1600 militaires de l’EUFOR de même que des observateurs. L’UE n’est pas l’unique présence internationale soutenant et appuyant le processus électoral. En effet, le Comité international d’accompagnement de transition (CIAT), l’Union africaine (UA), la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC), la Communauté des États d’Afrique centrale (Ceac) ainsi que plusieurs ONG étrangères ont tous participé à cette consultation populaire afin qu’elle soit transparente, libre et impartiale. L’Afrique du Sud s’est également impliquée dans l’organisation des élections en conseillant les autorités congolaises en ce qui concerne la participation des anciens belligérants au processus de transition. Au total, ce sont plus 1700 observateurs internationaux qui sont venus appuyer les 47 000 observateurs nationaux et les 300 000 témoins des partis politiques. La MONUC, la mission des Nations Unies en RDC, créée en novembre 1999, est aujourd’hui soutenue par 17 600 casques bleus. La mission concourt aussi au bon déroulement des élections en vertu de son mandat et ce, tant au niveau organisationnel qu’au niveau de la sécurité.
Les congolais aux urnes
À l’évidence, la grande majorité des Congolais ont envisagé ce processus électoral avec confiance et détermination, comme l’ont démontré les longues files d’attente devant les bureaux. Dans certaines localités, les gens sont demeurés sous un soleil de plomb pendant plus de cinq heures. Nombreuses sont les organisations internationales présentes au cours de ces élections à avoir félicité les Congolais pour leur participation massive à cette consultation populaire. Pour veiller à la sécurité des électeurs, 80 000 militaires et policiers ont été déployés à la grandeur du pays. Dans l’ensemble, et en considérant le passé violent de ce pays, la journée du scrutin s’est déroulée dans le calme et sans violence. Le lendemain du scrutin, le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, s’est d’ailleurs réjouit de la « bonne tenue des élections » et a affirmé que « cet événement historique marque une étape cruciale dans le processus de paix dans le pays » (1).
Malgré tout, quelques incidents isolés de vandalisme, de destruction et d’intimidation ont été signalés par les autorités. Par exemple, dans la région diamantifère du Kasaï oriental et occidental, fief du parti de l’Union pour la démocratique et le progrès social (UDPS), les bureaux ont dû rouvrir leurs portes au lendemain de la journée officielle des élections puisque plusieurs locaux avaient été saccagés et incendiés. Les autorités responsables des élections soupçonnent l’UDPS d’avoir commis ces actes d’incivisme. Etienne Tshisekedi, chef de l’UDPS et grande figure de l’opposition à l’époque du régime de Mobutu, n’a toutefois pas participé aux élections, appelant déjà en juin dernier au boycott de ce qu’il a qualifié d’élections truquées et mensongères. Quant aux autorités de la MONUC, elles condamnent Tshisekedi pour avoir encouragé, lors de la campagne électorale, les tenants du boycott à commettre des actes d’intimidation envers les futurs électeurs.
Dans la capitale Kinshasa, où le Président sortant et grand favori Joseph Kabila est lui-même allé voter, les élections se sont également bien déroulées et ce, en dépit des pires prévisions. En effet, au cours de la campagne électorale, la capitale a été le lieu de vives tensions et d’affrontements entre partisans de différents partis, entre la Police nationale congolaise et des manifestants. En réponse à ces incidents, qui comme lors de la manifestation du 27 juillet dernier ont entraîné des morts, le CIAT a dû redoubler d’effort pour faire prévaloir à tous les Congolais leur droit à la liberté de rassemblement. De plus, c’est dans la capitale que les responsables des élections ont dénoncé certains médias pour leur traitement discriminatoire, voire à l’extrême leurs dérives haineuses, à l’encontre de certains candidats.
La période post-électorale
Au lendemain des élections, plusieurs voix se sont élevées. D’abord, celle de l’ancien chef rebelle Azarias Ruberwa qui dénonce des « fraudes massives » et exige un nouveau vote « dans tous les bureaux où des irrégularités graves ont été constatées »(2). Ces fraudes, selon Ruberwa, ont été perpétrées par le camp des « pro-Kabila » et avec la complicité du président de la CEI, l’abbé Apollinaire Malu Malu. Bien qu’il ait déposé les armes en 2003, Ruberwa est soupçonné par les autorités onusiennes de n’avoir pas, au moment des élections, complètement désarmé ses miliciens. À ce jour, les allégations de Ruberwa n’ont pas été confirmées par la CEI ni par les observateurs onusiens et européens, mais comme le rappelle le Président du Comité International des Sages, Joachim Chissano :« toutes contestations doivent être discutées : cela doit se faire dans l’ordre, dans la paix et selon la loi »(3). À la voix de Ruberwa s’ajoute celle de Jean-Pierre Bemba, un ancien chef d’un mouvement rebelle, qui soupçonne le camp de Kabila d’avoir intimidé et menacé de mort des partisans pro-Memba. Kabila et Memba jouissent d’ailleurs d’un passé plutôt conflictuel. Rappelons seulement qu’en 2003, Joseph Kabila a saisi la Cour Internationale de justice de porter contre Jean-Pierre Bemba, aujourd’hui vice-président au sein du gouvernement de transition, des accusations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Cette ère post-électorale suscite également l’inquiétude des observateurs nationaux et internationaux dans la mesure où la tension a considérablement augmenté depuis la journée du scrutin. En effet, pendant que la CEI s’applique à compiler les votes dans l’un de ses 62 bureaux, l’agitation ne cesse de s’accroître, laissant entrevoir la possibilité d’un éclatement de violence. Selon la CEI, l’origine de cette tension repose sur le comportement de certains chefs de parti politique qui s’autoproclament vainqueurs suite à leur propre compilation des voix. Elle appelle donc au calme et invite les candidats à ne pas publier prématurément des résultats partiels. Le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies en RDC, William Lacy Swing, réitère la position du CEI et rappelle aux candidats que ces gestes constituent une violation flagrante des lois électorales. Ces événements soulèvent la crainte des autorités à l’effet que certains des candidats et leurs partisans puissent non seulement contester les résultats officiels des élections, mais ne pas reconnaître la légitimité accordée au gagnant.
Un premier pas vers la démocratie
Il est important de rappeler que dans le contexte actuel de la RDC, les conditions sociologiques nécessaires à tout processus de démocratisation ne sont pas entièrement réunies et de graves lacunes subsistent. En effet, toute instauration de structures institutionnelles pour l’établissement d’un régime démocratique doit forcément s’accompagner d’une socialisation aux valeurs dites démocratiques afin qu’émerge une « culture politique » indispensable à son existence. Ici, l’éducation civique se pose comme une condition fondamentale à la constitution d’un tel régime en RDC puisque les décennies de dictature mobutiste, avec sa corruption et son impunité continues et le chaos issu de l’ouverture politique des années de Kabila père – menant à la guerre et à la pauvreté endémique – ont contribué à une socialisation, à la violence et à l’ambition démesurée des « profiteurs ». En fin de compte, comme l’affirme le sociologue Alain Touraine : « une société n’est pas naturellement démocratique, elle le devient ». Pour le Congo, les premières élections pluralistes ne constituent donc qu’une étape de la reconstruction nationale que le pays, en collaboration avec des institutions onusiennes, tente de concrétiser. Il faut également considérer que jusqu’à tout récemment, plusieurs des candidats à la présidentielle étaient d’anciens chefs de mouvements rebelles qui contestaient par les armes le pouvoir du gouvernement de transition.
Ainsi, ce premier pas vers la démocratie est crucial pour la reconstruction de ce pays de l’Afrique des Grands Lacs dont les besoins en matière de sécurité et de développement économique sont des plus urgents. L’espoir que les élections suscitent chez la population et les observateurs est certes compréhensible, mais il est toutefois impératif de demeurer circonspect par rapport au futur. En effet, les institutions démocratiques en RDC, telles que le monopole de la violence légitime, le respect des droits de l’homme, le droit de circuler en toute sécurité et la liberté d’expression, sont à un stade de développement précaire, voire dans certains cas inexistantes ou entièrement à reconstituer. Le gouvernement de Kinshasa est non seulement incapable d’exercer son rôle régalien dans plusieurs régions, mais peine également à mettre en place une politique économique capable de gérer l’immense richesse de son sous-sol. De surcroît, des groupes rebelles se font la guerre pour l’appropriation des ressources minières du pays, privant du même coup les populations des dividendes que pourraient procurer l’exploitation de ces richesses. Enfin, c’est dans cette perspective qu’il est crucial pour la communauté internationale de continuer d’accompagner les Congolais à l’instauration d’un gouvernement légitime et donc de demeurer en place suite aux élections. Un retrait trop rapide et un affaissement de la volonté politique de la communauté internationale auraient des conséquences désastreuses pour le processus de paix et le développement économique du pays.
Notes
(1) Communiqué de presse des Nations Unies, New York, 31 juillet 2006 «http://www.monuc.org/Home.aspx?lang=fr », mardi le 31 juillet, 2006.
(2) Source; «http://www.congovision.com/nouvelles/vote_resultats4.html», mercredi, le 1er août 2006.
RENOUX, Frederick, (02 août 06), Comité des Sages : Il faut discuter les contestations dans l’ordre, dans la paix et selon la loi., 1p, «http://www.monuc.org/News.aspx?newsID=12019». Jeudi, le 3 août, 2006